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DOCUMENTS BIOGRAPHIQUES.

de belles promesses, il engagea les exilés à se réfugier chez lui, et plusieurs des mécontents les y suivirent.

Il fit bâtir les premières maisons, et les donna pour un cens perpétuel ; ensuite il prêta de l’argent en rente viagère à ceux qui voulaient bâtir eux-mêmes ; aux uns sur sa tête, à d’autres sur sa tête et sur celle de Mme Denis.

Son unique objet m’a paru l’agrandissement de ce village ; voilà pourquoi il avait demandé des exemptions d’impôts, et voilà pourquoi il cherchait tous les jours à séduire des ouvriers de Genève pour y établir une manufacture d’horlogerie. Je ne dis pas qu’il ne pensât point à l’argent ; mais je suis persuadé que ce n’était pour lui qu’un objet secondaire.

Les deux jours que je l’ai vu, il portait des souliers de drap blanc, des bas blancs de laine, des culottes rouges, deux gilets avec une robe de chambre et la veste de toile bleue, semée de fleurs jaunes et doublée de jaune ; il portait une perruque grise à trois marteaux, et par-dessus un bonnet de nuit de soie brodé d’or et d’argent.

Il a fait construire, il y a douze ans, son tombeau à côté de son église, en face de son château. Dans l’église, qui est petite, il n’y a rien d’extraordinaire, excepté sur l’autel, où il y a une figure simple en bois doré, sans croix. L’on dit que c’est lui-même, car on prétend qu’il a toujours eu l’idée de faire une religion.



LXI.


MADAME DE GENLIS À FERNEY[1].
Août 1776.
De Genève.

Je compte aller demain à Ferney, voir M. de Voltaire. Je n’avais point pour lui de lettre de recommandation ; mais les jeunes femmes de Paris en sont toujours bien reçues. Je lui ai écrit pour lui demander la permission d’aller chez lui ; il n’y avait dans mon billet ni esprit, ni prétentions, ni fadeurs, et j’ai daté du mois d’août. M. de Voltaire veut qu’on écrive du mois d’Auguste. Cette petite pédanterie m’a paru une flatterie, et j’ai écrit fièrement du mois d’août. Le philosophe de Ferney m’a fait une réponse très-gracieuse ; il m’annonce qu’en ma faveur il quittera ses pantoufles et sa robe de chambre, et il m’invite à dîner et à souper.

J’ai passé neuf heures avec M. de Voltaire ; voilà une journée mémorable qui doit être détaillée dans le journal d’une voyageuse ; je conterai avec simplicité, comme à mon ordinaire, ce que j’ai observé et ce que j’ai senti.

  1. Extrait des Souvenirs de Félicie : Paris, 1804, in-12, p. 197 et suiv. Plus tard Mme de Genlis (1746-1830) a reproduit cette partie de ses Souvenirs dans ses Mémoires ; Paris, 1825, tome II, page 320. Ce récit est toujours donné comme faisant contraste avec celui de Mme Suard.