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DE VOLTAIRE.

Le fanatisme, dont le génie étonné tremblait devant celui d’un grand homme, le voit à peine expirant qu’il se flatte déjà de reprendre son empire, et le premier effort de sa rage impuissante est un excès de démence et de lâcheté.

Qu’espérez-vous de tant de barbarie ? Qu’apprendrez-vous à l’univers en exerçant sur cette dépouille mortelle votre furie et votre vengeance, si ce n’est la terreur et l’épouvante qu’il sut vous inspirer jusqu’au dernier moment de sa vie ? Voilà donc quelle est aujourd’hui votre puissance ! Un seul homme, sans autre appui que l’ascendant de la gloire et des talents, a résisté soixante ans à vos persécutions, a bravé soixante ans vos fureurs, et ce n’est que la mort qui vous livre votre victime, ombre vaine, insensible à vos injures, mais dont le seul nom est encore l’amour de l’humanité et l’effroi de ses tyrans.

Quel était donc votre dessein en refusant un simple tombeau à celui à qui la nation venait de décerner les honneurs d’un triomphe public ? Avez-vous craint que ce tombeau ne devînt un autel, et le lieu qui le renfermerait un temple ? Avez-vous craint de voir confondu dans la foule des humains l’homme qui s’éleva au-dessus de tous les rangs par l’éclat et par la supériorité de son génie ? Avez-vous pensé qu’il fût si fort de votre intérêt d’annoncer à l’Europe entière que le plus grand homme de son siècle était mort comme il avait vécu, sans faiblesse et sans préjugé[1] ?

En voulant couvrir, s’il vous eût été possible, de l’obscurité la plus profonde le lieu où reposaient les cendres de Voltaire, en cherchant à envelopper de ténèbres et de mystère le moment de sa mort, n’avez-vous pas tremblé que les plus ardents de ses disciples ne profitassent d’une circonstance si favorable pour établir les preuves de son immortalité, de sa résurrection ? Ah ! vous saviez trop bien que, l’eussent-ils tenté, les ouvrages qui nous restent de lui ne permettaient plus de croire aux miracles de cette espèce[2].

  1. On sait que M. de Voltaire a regretté infiniment la vie (eh ! qui pouvait la regretter plus que lui ?) mais sans craindre la mort et ses suites. Il a maudit souvent l’impuissance des secours de la médecine ; mais ce sont les douleurs dont il était tourmenté, le désir qu’il aurait eu de jouir encore plus longtemps de sa gloire et de ses travaux, non les remords d’une âme efffrayée par l’incertitude de l’avenir, qui lui arrachèrent ses plaintes et ses murmures. Il a vu quelques heures avant de mourir M. le curé de Saint-Sulpice et M. l’abbé Gaultier. Il a paru d’abord avoir quelque peine à les reconnaître. M. de Villette les lui ayant annoncés une seconde fois, il répondit sans aucune impatience : Assurez ces messieurs de mes respects. À la prière de M. de Villette, M. de Saint-Sulpice s’étant approché du chevet de son lit, le mourant étendit son bras autour de sa tête comme pour l’embrasser. Dans cette attitude, M. de Saint-Sulpice lui adressa quelques exhortations, et finit par le conjurer de rendre encore témoignage à la vérité dans ses derniers instants, et de prouver au moins par quelque signe qu’il reconnaissait la divinité de Jésus-Christ. À ce mot les yeux du mourant parurent se ranimer un peu ; il repoussa doucement M. le curé, et dit d’une voix encore intelligible : Hélas ! laissez-moi mourir tranquille ! M. de Saint-Sulpice se tourna du côté de M. l’abbé Gaultier, et lui dit avec beaucoup de modération et de présence d’esprit : Vous voyez que la tête n’y est plus. Ces messieurs s’étant retirés, il serra la main du domestique qui l’avait servi avec le plus de zèle pendant sa maladie, nomma encore quelquefois Mme  Denis, et rendit peu de moments après les derniers soupirs. (Meister.)
  2. Il est certain qu’on a ignoré quelque temps dans le public et l’heure et le jour de la mort de M. de Voltaire. Tout Paris était encore à sa porte pour demander de ses nouvelles, lorsque son corps avait déjà été enlevé pour être transporté à l’abbaye de Scellières. Les ordres donnés pour sa sépulture ont été enveloppés de tout le mystère que pourrait exiger l’affaire d’État la plus importante, et l’on doit avouer que ces précautions n’étaient peut-être pas absolument inutiles ; on croit qu’il aurait été fort aisé d’échauffer pour un parti quelconque la foule qui assiégeait encore la demeure de cet homme célèbre le lendemain de sa mort. (Meister.)