Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome1.djvu/537

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
463
DE VOLTAIRE.

Les FF passèrent ensuite dans la salle du banquet, au nombre de deux cents. On fit l’ouverture de la loge de table, et l’on tira les santés ordinaires, en joignant à la première celle des treize États-Unis, représentés à ce banquet par le F Franklin.

Au fond de la salle on voyait un arc de triomphe formé par des guirlandes de fleurs et des nœuds de gaze or et argent, sur lequel parut tout à coup le buste de Voltaire, par M. Houdon, donné à la loge par Mme  Denis ; la satisfaction de tous les FF fut égale à leur surprise, et ils marquèrent par de nouveaux applaudissements leur admiration et leur reconnaissance.

Le F prince Camille de Rohan ayant demandé d’être affilié à la loge, on s’empressa de nommer des commissaires suivant l’usage.

Le F Roucher lut encore plusieurs morceaux de son poëme des Douze Mois, et d’autres FF s’empressèrent également de terminer les plaisirs de cette fête par d’autres lectures intéressantes.


XXII.


LETTRE DE CATHERINE II[1]
AU BARON GRIMM

À Saint-Pétersbourg, ce 30 novembre, fête de
saint André, avec une gelée de 16 à 17 degrés.

. . . Pour ce qui regarde le payement de la bibliothèque patriarcale, vous savez ou vous saurez que le baron Friedrichs vous a envoyé un créditif de trente mille roubles ; que bijoux, portraits, fourrures, sont tout prêts à partir en attendant seulement que les lettres patriarcales soient copiées. Or je remets à votre jugement si vous voulez donner la somme ou de cette somme acheter encore des diamants ou toute autre chose qui puisse faire plaisir à Mme  Denis, et je m’en lave les mains. J’espère que tout ce que je vous ai mandé de la bâtisse du Nouveau Ferney aura mis l’esprit de Mme  Denis dans une assiette tranquille. Mais il faut que vous me fassiez savoir comment chaque chambre du château était meublée, et à quoi elle servait, afin que ma santa casa puisse, ainsi que celle de Lorette, représenter au vrai. Or envoyez-moi votre jugement signé et contre-signe, si cette idée n’est pas meilleure que celle de tombe et de tel autre monument dont l’univers regorge pour de bien moindres sujets. Je vous ai déjà donné mes lettres à Voltaire ; j’aime mieux qu’elles soient à vous qu’aux Secondat, mais je veux mourir si je sais ce qu’elles contiennent. Priez très-instamment Mme  Denis de ne point donner de copies de ces lettres, de ne point en permettre l’impression, ni qu’elles soient divulguées en aucune façon : je crains l’impression comme le feu ; je n’écris pas assez bien pour cela, quoi qu’en disent Mme  Denis et ses amis. Faites cela, commentez mes lettres si vous croyez qu’il en vaille la peine : cela peut faire l’ouvrage le plus bouffon qu’il y eut jamais. Or, écoutez donc, s’il y a de la force, de la profondeur, de la grâce dans mes lettres ou expressions, sachez que je dois tout cela à Voltaire, car pendant fort longtemps nous lisions, relisions, et étudiions tout ce qui sortait de sa plume, et j’ose dire que par là j’ai acquis un tact si fin que je ne me suis jamais trompé sur ce qui était de lui ou n’en était pas : la griffe du lion a une empoignure à elle que nul humain n’imita jusqu’ici, mais dont l’épître à Ninon du comte Schouvalof approche.

  1. Correspondance publiée par la Société Impériale de l’Histoire de Russie.