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DE VOLTAIRE.

Ils se voyaient quelquefois, mais sans être fort liés ; ils se rendaient pour lors justice l’un à l’autre.

Quelques années après, ils se retrouvèrent tous deux en Angleterre ; et ce fut dans ce voyage que leur haine commença, pour durer le reste de leur vie.

M. de Saint-Hyacinthe m’a dit et répété plusieurs fois que M. de Voltaire se conduisit très-irrégulièrement en Angleterre ; qu’il s’y fit beaucoup d’ennemis, par des procédés qui ne s’accordaient pas avec les principes d’une morale exacte ; il est même entré avec moi dans des détails que je ne rapporterai point, parce qu’ils peuvent avoir été exagérés.

Quoi qu’il en soit, il fit dire à M. de Voltaire que s’il ne changeait de conduite il ne pourrait s’empêcher de témoigner publiquement qu’il le désapprouvait : ce qu’il croyait devoir faire pour l’honneur de la nation française, afin que les Anglais ne s’imaginassent pas que les Français étaient ses complices, et dignes du blâme qu’il méritait.

On peut bien s’imaginer que M. de Voltaire fut très-mécontent d’une pareille correction ; il ne fit réponse à M. de Saint-Hyacinthe que par des mépris ; et celui-ci, de son côté, blâma publiquement, et sans aucun ménagement, la conduite de M. de Voltaire. Voilà la querelle commencée ; nous allons en voir les suites.

Ce fut M. de Saint-Hyacinthe qui prit le premier la plume dans cette dispute : il se proposa de faire une critique de la Henriade, et, en 1728, il fit imprimer à Londres un petit ouvrage sous ce titre : Lettres critiques sur la Henriade de M. de Voltaire ; l’année de l’impression n’est pas marquée dans le titre, mais on trouve la date de l’ouvrage à la fin, où on lit : Londres, 22 avril 1728.

Cette lettre n’est que la critique du premier chant de la Henriade ; elle ne fut suivie d’aucune autre. M. de Saint-Hyacinthe me l’envoya : je doute qu’il y en ait d’autre exemplaire à Paris. Cette critique roule presque toute sur des points de grammaire ; elle est assez modérée ; on en peut juger par le jugement que l’auteur fait de la Henriade :

« Quelque imperfection, dit-il, qui se trouve dans le poëme de M. de Voltaire, son ouvrage n’est pas indigne du nom d’excellent, si par excellent on entend un ouvrage tel que les Français n’en ont point de pareil qui l’égale. » Puis il ajoute : « Ce poëme était fameux avant même qu’il eût vu le jour : c’est ce qu’il a de commun avec la Pucelle de Chapelain ; mais c’est en cela seul que le sort de la Henriade ressemblera à celui de la Pucelle. »

M. de Voltaire ne cessait, dans toutes les occasions, de témoigner sa haine et son mépris pour M. de Saint-Hyacinthe. La bile de celui-ci s’enflamma, et il résolut de se venger par un trait qui offenserait vivement son adversaire. Il faisait dans ce temps-là une nouvelle édition de Mathanasius, à laquelle il joignit l’Apothéose, ou la Déification du docteur Masso[1] ; il y inséra la relation d’une fâcheuse aventure de M. de Voltaire, qui avait été très-indignement traité par un officier français nommé Beauregard.

  1. Publiée, pour la première fois, en 1732, à la suite de la sixième édition du Chef-d’œuvre d’un Inconnu.