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LXI
JUGEMENTS SUR VOLTAIRE.

À l’origine ou au terme de tous nos sentiments exaltés, quelles crudités physiologiques, quelle disproportion entre notre raison si faible et nos instincts si forts ! Dans quel bas-fonds de garde-robe la politique et la religion vont-elles cacher leur linge sale !

De tout cela, il faut rire pour ne pas pleurer, et encore, sous ce rire, il y a des larmes ; il finit en ricanement ; il recouvre la tristesse profonde, la pitié douloureuse. À ce degré et en de tels sujets, il n’est plus qu’un effet de l’habitude et du parti pris, une manie de la verve, un état fixe de la machine nerveuse lancée à travers tout, sans frein et à toute vitesse. — Prenons-y garde, pourtant : la gaieté est encore un ressort, le dernier en France qui maintienne l’homme debout, le meilleur pour garder à l’âme son ton, sa résistance et sa force, le plus intact dans un siècle où les hommes, les femmes elles-mêmes, se croyaient tenus de mourir en personnes de bonne compagnie, avec un sourire et sur un bon mot. (Les Origines de la France contemporaine, tome Ier.)

L’ancien régime était encore debout, malgré sa décadence croissante depuis trois siècles. Il s’agissait non de comprendre et de juger, mais de combattre et de détruire ces institutions qui pesaient encore sur la raison et la conscience de la société moderne, et qui faisaient obstacle aux réformes les plus justes et les plus urgentes, dans l’ordre religieux, politique et social. Écrasons l’infâme ne fut point seulement un cri de colère échappé au plus irritable de nos grands écrivains ; ce fut le mot d’ordre de tout un peuple de philosophes, de publicistes et de pamphlétaires. Écrasons l’infâme, c’est-à-dire guerre à l’ennemi, avec toutes les armes que la passion met dans les mains, avec la déclamation, avec l’injure, avec l’outrage, avec la calomnie, furor arma ministrat. « Mentez, mentez toujours, mes amis, pour la bonne cause ! » criait Voltaire. C’est dans cet esprit que furent jugées et dénoncées à l’opinion publique toutes les doctrines, toutes les institutions du passé, religion, philosophie, monarchie, noblesse et clergé. Dans ce furieux assaut la religion et le clergé reçurent les plus rudes coups. Nulle étude sérieuse, embrassant tous les côtés de son objet. Nulle véritable critique, faisant équitablement la part du vrai et du faux, du bien et du mal, de la raison et de la superstition. L’infâme, c’est tout ce qui touche à ce passé avec lequel on veut en finir à tout prix. (Lettre au Courrier du Dimanche, septembre 1881.)