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DE L’IDOLÂTRIE.

Perses, n’eurent longtemps ni images ni temples. Comment ceux qui vénéraient, dans le soleil, les astres et le feu, les emblèmes de la Divinité, peuvent-ils être appelés idolâtres ? Ils révéraient ce qu’ils voyaient : mais certainement révérer le soleil et les astres, ce n’est pas adorer une figure taillée par un ouvrier ; c’est avoir un culte erroné, mais ce n’est point être idolâtre.

Je suppose que les Égyptiens aient adoré réellement le chien Anubis et le bœuf Apis ; qu’ils aient été assez fous pour ne les pas regarder comme des animaux consacrés à la Divinité, et comme un emblème du bien que leur Isheth, leur Isis, faisait aux hommes ; pour croire même qu’un rayon céleste animait ce bœuf et ce chien consacrés ; il est clair que ce n’était pas adorer une statue : une bête n’est pas une idole.

Il est indubitable que les hommes eurent des objets de culte avant que d’avoir des sculpteurs, et il est clair que ces hommes si anciens ne pouvaient point être appelés idolâtres. Il reste donc à savoir si ceux qui firent enfin placer les statues dans les temples, et qui firent révérer ces statues, se nommèrent adorateurs de statues, et leurs peuples, adorateurs de statues : c’est assurément ce qu’on ne trouve dans aucun monument de l’antiquité.

Mais en ne prenant point le titre d’idolâtres, l’étaient-ils en effet ? était-il ordonné de croire que la statue de bronze qui représentait la figure fantastique de Bel à Babylone était le Maître, le Dieu, le Créateur du monde ; la figure de Jupiter était-elle Jupiter même ? n’est-ce pas (s’il est permis de comparer les usages de notre sainte religion avec les usages antiques), n’est-ce pas comme si l’on disait que nous adorons la figure du Père éternel avec une barbe longue, la figure d’une femme et d’un enfant, la figure d’une colombe ? Ce sont des ornements emblématiques dans nos temples : nous les adorons si peu que, quand ces statues sont de bois, on s’en chauffe dès qu’elles pourrissent, on en érige d’autres ; elles sont de simples avertissements qui parlent aux yeux et à l’imagination. Les Turcs et les réformés croient que les catholiques sont idolâtres ; mais les catholiques ne cessent de protester contre cette injure.

Il n’est pas possible qu’on adore réellement une statue, ni qu’on croie que cette statue est le Dieu suprême. Il n’y avait qu’un Jupiter, mais il y avait mille de ses statues : or ce Jupiter qu’on croyait lancer la foudre était supposé habiter les nuées, ou le mont Olympe, ou la planète qui porte son nom ; et ses figures ne lançaient point la foudre, et n’étaient ni dans une planète, ni dans les nuées, ni sur le mont Olympe : toutes les