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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/13

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AVERTISSEMENT.

sieurs morceaux de la poésie arabe, et les plus grands traits de tous les poëtes originaux, depuis le Dante. Mais ce premier travail lui fut dérobé, et il n’en aurait gardé que les vers sur la chute de Barmécide et la traduction de quelques stances de Pétrarque. Nous ne sommes pas certain de cette anecdote. Les vers de Voltaire ne se perdaient pas ; et peut-être confond-il ici, dans un souvenir assez vague, bien des imitations de poëtes anglais et italiens, qu’il destinait d’abord à cet Essai historique, et qu’il a dispersées dans ses autres ouvrages[1].

« Quoi qu’il en soit, cet ornement, jusque-là si négligé dans l’histoire, était un des traits de la physionomie nouvelle que Voltaire donnait à cette grande étude. Les imitateurs sont venus en foule ; mais il était beau alors, même après le président de Thou, de chercher le premier dans la naissance et le progrès des arts de l’esprit, l’unité d’une histoire générale. Le moyen âge et les siècles suivants, si pénibles à étudier, si chargés de faits incohérents, obscurs, mal contés, devenaient clairs, rapides, agréables à lire. Une lumière apparente se répandait sur toutes les parties de cet immense récit. La nouveauté des premiers chapitres de Voltaire sur la Chine, l’Inde, l’Arabie, en suppléant aux omissions de Bossuet, ouvrait d’une manière remarquable la continuation ou plutôt la contre-partie du travail de ce grand homme, qui s’était arrêté au règne de Charlemagne, quoiqu’il voulût embrasser tout le reste...

« L’ingénieux, l’éclatant Voltaire, à l’abord du moyen âge, éprouve, nous le concevons, la même répugnance que le politique Machiavel. C’est une sorte de colère contre les grossiers destructeurs de l’ancienne civilisation, un ennui profond de ces temps nouveaux mais barbares, de ces superstitions sans art et sans génie, de ces noms obscurs ou durs, de ces Pierre et de ces Jean, qui remplacent les César et les Pompée, comme disait Machiavel. Voltaire est même éloquent pour peindre cette décadence universelle, et, dans quelques mots énergiques, il grave toute la pensée qui a inspiré Gibbon :

« Vingt jargons barbares succèdent à cette belle langue latine qu’on parlait du fond de l’Illyrie au mont Atlas. Au lieu de ces sages lois qui gouvernaient la moitié de notre hémisphère, on ne trouve plus que des coutumes sauvages. Les cirques, les amphithéâtres élevés dans toutes les provinces sont changés en masures couvertes de paille. Ces grands chemins si beaux, si solides, établis du pied du Capitole jusqu’au mont Taurus, sont couverts d’eaux croupissantes. La même révolution se fait dans les esprits, et Grégoire de Tours, le moine de Saint-Gall, Frédégaire, sont nos Polybes et nos Tites-Lives. »

« Mais dans ce chaos, énergiquement dépeint, aperçoit-il une lueur nouvelle ? suit-il les générations à la trace, et montre-t-il l’appui qui les soutient ? Il ne le peut ; car la religion chrétienne lui semble le symbole et la cause de cette barbarie, que seule elle adoucit et qu’elle doit détruire.

« Aussi Voltaire se hâte de quitter les premiers temps du moyen âge, où l’imagination ne se plaît qu’en s’y arrêtant ; il rejette les détails par ennui,

  1. Voyez tome X, pages 609-611.