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DES PROPHÈTES JUIFS.

a passé par ma main pour aller sur la joue. Osée, chapitre ix, déclare que les prophètes sont des fous : stultum prophetam, insanum virum spiritualem. Les prophètes se traitaient les uns les autres de visionnaires et de menteurs. Il n’y avait donc d’autre moyen de discerner le vrai du faux que d’attendre l’accomplissement des prédictions.

Élisée étant allé à Damas en Syrie, le roi, qui était malade, lui envoya quarante chameaux chargés de présents, pour savoir s’il guérirait ; Élisée répondit « que le roi pourrait guérir, mais qu’il mourrait ». Le roi mourut en effet. Si Élisée n’avait pas été un prophète du vrai Dieu, on aurait pu le soupçonner de se ménager une évasion à tout événement ; car si le roi n’était pas mort, Élisée avait prédit sa guérison en disant qu’il pouvait guérir, et qu’il n’avait pas spécifié le temps de sa mort. Mais ayant confirmé sa mission par des miracles éclatants, on ne pouvait douter de sa véracité.

Nous ne rechercherons pas ici, avec les commentateurs, ce que c’était que l’esprit double qu’Élisée reçut d’Élie, ni ce que signifie le manteau que lui donna Élie, en montant au ciel dans un char de feu, traîné par des chevaux enflammés, comme les Grecs figurèrent en poésie le char d’Apollon. Nous n’approfondirons point quel est le type, quel est le sens mystique de ces quarante-deux petits enfants qui, en voyant Élisée dans le chemin escarpé qui conduit à Béthel, lui dirent en riant : Monte, chauve, monte ; et de la vengeance qu’en tira le prophète, en faisant venir sur-le-champ deux ours qui dévorèrent ces innocentes créatures. Les faits sont connus, et le sens peut en être caché.

Il faut observer ici une coutume de l’Orient, que les Juifs poussèrent à un point qui nous étonne. Cet usage était non-seulement de parler en allégories, mais d’exprimer, par des actions singulières, les choses qu’on voulait signifier. Rien n’était plus naturel alors que cet usage ; car les hommes n’ayant écrit longtemps leurs pensées qu’en hiéroglyphes, ils devaient prendre l’habitude de parler comme ils écrivaient.

Ainsi les Scythes (si on en croit Hérodote) envoyèrent à Darah, que nous appelons Darius, un oiseau, une souris, une grenouille, et cinq flèches : cela voulait dire que si Darius ne s’enfuyait aussi vite qu’un oiseau, ou s’il ne se cachait comme une souris et comme une grenouille, il périrait par leurs flèches.

Le conte peut n’être pas vrai ; mais il est toujours un témoignage des emblèmes en usage dans ces temps reculés.

Les rois s’écrivaient en énigmes : on en a des exemples dans