Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/164

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
144
SI LES JUIFS ONT ENSEIGNÉ LES NATIONS.

que les Juifs n’appelèrent Jacob Israël, qu’ils ne se donnèrent le nom d’Israélites, que lorsqu’ils eurent quelque connaissance du chaldéen. Or ils ne purent avoir connaissance de cette langue que quand ils furent esclaves en Chaldée. Est-il vraisemblable que dans les déserts de l’Arabie Pétrée ils eussent appris déjà le chaldéen ?

Flavien Josèphe, dans sa réponse à Apion, à Lysimaque et à Molon, livre II, chap. v, avoue en propres termes « que ce sont les Égyptiens qui apprirent à d’autres nations à se faire circoncire, comme Hérodote le témoigne ». En effet serait-il probable que la nation antique et puissante des Égyptiens eût pris cette coutume d’un petit peuple qu’elle abhorrait, et qui, de son aveu, ne fut circoncis que sous Josué ?

Les livres sacrés eux-mêmes nous apprennent que Moïse avait été nourri dans les sciences des Égyptiens, et ils ne disent nulle part que les Égyptiens aient jamais rien appris des Juifs. Quand Salomon voulut bâtir son temple et son palais, ne demanda-t-il pas des ouvriers au roi de Tyr ? Il est dit même qu’il donna vingt villes au roi Hiram pour obtenir des ouvriers et des cèdres : c’était sans doute payer bien chèrement, et le marché est étrange ; mais jamais les Tyriens demandèrent-ils des artistes juifs ?

Le même Josèphe dont nous avons parlé avoue que sa nation, qu’il s’efforce de relever, « n’eut longtemps aucun commerce avec les autres nations » ; qu’elle fut surtout inconnue des Grecs, qui connaissaient les Scythes, les Tartares. « Faut-il s’étonner », ajoute-il, liv. Ier chap. x, « que notre nation, éloignée de la mer, et ne se piquant point de rien écrire, ait été si peu connue ? »

Lorsque le même Josèphe raconte, avec ses exagérations ordinaires, la manière aussi honorable qu’incroyable dont le roi Ptolémée Philadelphe acheta une traduction grecque des livres juifs, faite par des Hébreux dans la ville d’Alexandrie ; Josèphe, dis-je, ajoute que Démétrius de Phalère, qui fit faire cette traduction pour la bibliothèque de son roi, demanda à l’un des traducteurs « comment il se pouvait faire qu’aucun historien, aucun poëte étranger n’eût jamais parlé des lois juives ». Le traducteur répondit : « Comme ces lois sont toutes divines, personne n’a osé entreprendre d’en parler, et ceux qui ont voulu le faire ont été châtiés de Dieu. Théopompe, voulant en insérer quelque chose dans son histoire, perdit l’esprit durant trente jours ; mais ayant reconnu dans un songe qu’il était devenu fou pour avoir voulu pénétrer dans les choses divines, et en faire part aux profanes[1],

  1. Josèphe, Histoire des Juifs, liv. XII, chap. ii. (Note de Voltaire.)