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ET DE LEUR DÉCADENCE.

Pourquoi cet empire fut-il détruit par des barbares ? ces barbares n’étaient-ils pas plus robustes, plus guerriers que les Romains, amollis à leur tour sous Honorius et sous ses successeurs ? Quand les Cimbres vinrent menacer l’Italie, du temps de Marius, les Romains durent prévoir que les Cimbres, c’est-à-dire les peuples du Nord, déchireraient l’empire lorsqu’il n’y aurait plus de Marius.

La faiblesse des empereurs, les factions de leurs ministres et de leurs eunuques, la haine que l’ancienne religion de l’empire portait à la nouvelle, les querelles sanglantes élevées dans le christianisme, les disputes théologiques substituées au maniement des armes, et la mollesse à la valeur ; des multitudes de moines remplaçant les agriculteurs et les soldats, tout appelait ces mêmes barbares qui n’avaient pu vaincre la république guerrière, et qui accablèrent Rome languissante, sous des empereurs cruels, efféminés, et dévots.

Lorsque les Goths, les Hérules, les Vandales, les Huns, inondèrent l’empire romain, quelles mesures les deux empereurs prenaient-ils pour détourner ces orages ? La différence de l’Homoiousios à l’Homoousios mettait le trouble dans l’Orient et dans l’Occident[1]. Les persécutions théologiques achevaient de tout perdre ; Nestorius, patriarche de Constantinople, qui eut d’abord un grand crédit sous Théodose II, obtint de cet empereur qu’on persécutât ceux qui pensaient qu’on devait rebaptiser les chrétiens apostats repentants, ceux qui croyaient qu’on devait célébrer la Pâque le 14 de la lune de mars, ceux qui ne faisaient pas plonger trois fois les baptisés ; enfin il tourmenta tant les chrétiens qu’ils le tourmentèrent à leur tour. Il appela la sainte Vierge Anthropotokos ; ses ennemis, qui voulaient qu’on l’appelât Theotocos, et qui sans doute avaient raison puisque le concile d’Éphèse décida en leur faveur, lui suscitèrent une persécution violente. Ces querelles occupèrent tous les esprits, et, pendant qu’on disputait, les barbares se partageaient l’Europe et l’Afrique.

Mais pourquoi Alaric, qui, au commencement du ve siècle, marcha des bords du Danube vers Rome, ne commença-t-il pas par attaquer Constantinople, lorsqu’il était maître de la Thrace ? Comment hasarda-t-il de se trouver pressé entre l’empire d’Orient et celui d’Occident ? Est-il naturel qu’il voulût passer les Alpes et l’Apennin, lorsque Constantinople tremblante s’offrait à sa conquête ? Les historiens de ce temps-là, aussi mal instruits

  1. Voyez, dans la Correspondance, la lettre de d’Alembert, du 8 février 1758.