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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/187

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DE LA CHINE.

immémorial on savait à la Chine que Vénus et Mercure tournaient autour du soleil. Il faudrait renoncer aux plus simples lumières de la raison, pour ne pas voir que de telles connaissances supposaient une multitude de siècles antérieurs, quand même ces connaissances n’auraient été que des doutes.

Ce qui rend surtout ces premiers livres respectables, et qui leur donne une supériorité reconnue sur tous ceux qui rapportent l’origine des autres nations, c’est qu’on n’y voit aucun prodige, aucune prédiction, aucune même de ces fourberies politiques que nous attribuons aux fondateurs des autres États ; excepté peut-être ce qu’on a imputé à Fo-hi, d’avoir fait accroire qu’il avait vu ses lois écrites sur le dos d’un serpent ailé. Cette imputation même fait voir qu’on connaissait l’écriture avant Fo-hi. Enfin ce n’est pas à nous, au bout de notre Occident, à contester les archives d’une nation qui était toute policée quand nous n’étions que des sauvages.

Un tyran, nommé Chi-Hoangti, ordonna, à la vérité, qu’on brûlât tous les livres ; mais cet ordre insensé et barbare avertissait de les conserver avec soin, et ils reparurent après lui. Qu’importe, après tout, que ces livres renferment ou non une chronologie toujours sûre ? Je veux que nous ne sachions pas en quel temps précisément vécut Charlemagne ; dès qu’il est certain qu’il a fait de vastes conquêtes avec de grandes armées, il est clair qu’il est né chez une nation nombreuse, formée en corps de peuple par une longue suite de siècles. Puis donc que l’empereur Hiao, qui vivait incontestablement plus de deux mille quatre cents ans avant notre ère, conquit tout le pays de la Corée, il est indubitable que son peuple était de l’antiquité la plus reculée. De plus, les Chinois inventèrent un cycle, un comput, qui commence deux mille six cent deux ans avant le nôtre. Est-ce à nous à leur contester une chronologie unanimement reçue chez eux, à nous, qui avons soixante systèmes différents pour compter les temps anciens, et qui, ainsi, n’en avons pas un ?

Répétons[1] que les hommes ne multiplient pas aussi aisément qu’on le pense. Le tiers des enfants est mort au bout de dix ans. Les calculateurs de la propagation de l’espèce humaine ont remarqué qu’il faut des circonstances favorables et rares pour qu’une nation s’accroisse d’un vingtième au bout de cent années ; et très-souvent il arrive que la peuplade diminue au lieu d’augmenter. De savants chronologistes ont supputé qu’une seule

  1. Voyez Introduction, paragraphe xxiv.