Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/215

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
195
DES BRACHMANES, DU VEIDAM, ETC.

mesure qu’ils ont été subjugués. Il y a grande apparence qu’à chaque conquête, les superstitions et les pénitences du peuple vaincu ont redoublé. Sésac, Madiès, les Assyriens, les Perses, Alexandre, les Arabes, les Tartares, et, de nos jours, Sha-Nadir, en venant les uns après les autres ravager ces beaux pays, ont fait un peuple pénitent d’un peuple qui n’a pas su être guerrier.

Jamais les pagodes n’ont été plus riches que dans les temps d’humiliation et de misère ; toutes ces pagodes ont des revenus considérables, et les dévots les enrichissent encore de leurs offrandes. Quand un raya passe devant une pagode, il descend de son cheval, de son chameau, ou de son éléphant, ou de son palanquin, et marche à pied jusqu’à ce qu’il ait passé le territoire du temple.

Cet ancien commentaire du Veidam, dont je viens de donner l’extrait, me paraît écrit avant les conquêtes d’Alexandre ; car on n’y trouve aucun des noms que les vainqueurs grecs imposèrent aux fleuves, aux villes, aux contrées, en prononçant à leur manière, et soumettant aux terminaisons de leurs langues les noms communs du pays. L’Inde s’appelle Zomboudipo ; le mont Immaüs est Mérou ; le Gange est nommé Zanoubi[1]. Ces anciens noms ne sont plus connus que des savants dans la langue sacrée.

L’ancienne pureté de la religion des premiers brachmanes ne subsiste plus que chez quelques-uns de leurs philosophes ; et ceux-là ne se donnent pas la peine d’instruire un peuple qui ne veut pas être instruit, et qui ne le mérite pas. Il y aurait même du risque à vouloir les détromper : les brames ignorants se soulèveraient ; les femmes, attachées à leurs pagodes, à leurs petites pratiques superstitieuses, crieraient à l’impiété. Quiconque veut enseigner la raison à ses concitoyens est persécuté, à moins qu’il ne soit le plus fort ; et il arrive presque toujours que le plus fort redouble les chaînes de l’ignorance au lieu de les rompre.

La religion mahométane seule a fait dans l’Inde d’immenses progrès, surtout parmi les hommes bien élevés, parce que c’est la religion du prince, et qu’elle n’enseigne que l’unité de Dieu, conformément à l’ancienne doctrine des premiers brachmanes. Le christianisme n’a pas eu dans l’Inde le même succès, malgré l’évidence et la sainteté de sa doctrine, et malgré les grands établissements des Portugais, des Français, des Anglais, des Hollandais, des Danois. C’est même le concours de ces nations qui a nui au progrès de notre culte. Comme elles se haïssent toutes, et que plusieurs d’entre elles se font souvent la guerre dans ces climats,

  1. Voyez Introduction, paragraphe xxiv.