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DE L’ARABIE, ET DE MAHOMET.

emploient dans l’espèce d’éloquence qui leur est propre. Leur gloire est de mettre à feu et à sang les petits villages dont ils peuvent s’emparer. Ils égorgent les vieillards et les enfants ; ils ne réservent que les filles nubiles ; ils assassinent leurs maîtres quand ils sont esclaves ; ils ne savent jamais pardonner quand ils sont vainqueurs ; ils sont les ennemis du genre humain. Nulle politesse, nulle science, nul art perfectionné dans aucun temps chez cette nation atroce. Mais, dès le second siècle de l’hégire, les Arabes deviennent les précepteurs de l’Europe dans les sciences et dans les arts, malgré leur loi qui semble l’ennemie des arts.

La dernière volonté de Mahomet ne fut point exécutée. Il avait nommé Ali, son gendre, époux de Fatime, pour l’héritier de son empire. Mais l’ambition, qui l’emporte sur le fanatisme même, engagea les chefs de son armée à déclarer calife, c’est-à-dire vicaire du prophète, le vieux Abubéker, son beau-père, dans l’espérance qu’ils pourraient bientôt eux-mêmes partager la succession. Ali resta dans l’Arabie, attendant le temps de se signaler.

Cette division fut la première semence du grand schisme qui sépare aujourd’hui les sectateurs d’Omar et ceux d’Ali, les Sunni et les Chias, les Turcs et les Persans modernes.

Abubéker rassembla d’abord en un corps les feuilles éparses de l’Alcoran. On lut, en présence de tous les chefs, les chapitres de ce livre, écrits les uns sur des feuilles de palmier, les autres sur du parchemin ; et on établit ainsi son authenticité invariable. Le respect superstitieux pour ce livre alla jusqu’à se persuader que l’original avait été écrit dans le ciel. Toute la question fut de savoir s’il avait été écrit de toute éternité, ou seulement au temps de Mahomet : les plus dévots se déclarèrent pour l’éternité.

Bientôt Abubéker mena ses musulmans en Palestine, et y défit le frère d’Héraclius. Il mourut peu après, avec la réputation du plus généreux de tous les hommes, n’ayant jamais pris pour lui qu’environ quarante sous de notre monnaie par jour, de tout le butin qu’on partageait, et ayant fait voir combien le mépris des petits intérêts peut s’accorder avec l’ambition que les grands intérêts inspirent.

Abubéker passe chez les Osmanlis pour un grand homme et pour un musulman fidèle : c’est un des saints de l’Alcoran. Les Arabes rapportent son testament, conçu en ces termes : « Au nom de Dieu très-miséricordieux, voici le testament d’Abubéker, fait dans le temps qu’il est prêt à passer de ce monde à l’autre ; dans le temps où les infidèles croient, où les impies cessent de douter, et où les menteurs disent la vérité. » Ce début semble être d’un