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CHAPITRE VI.

le commandant de la ville. Rien ne justifie plus l’Arioste et le Tasse, qui dans leurs poëmes font combattre tant d’héroïnes.

L’histoire vous en présentera plus d’une dans le temps de la chevalerie. Ces usages, toujours très-rares, paraissent aujourd’hui incroyables, surtout depuis que l’artillerie ne laisse plus agir la valeur, l’adresse, l’agilité de chaque combattant, et que les armées sont devenues des espèces de machines régulières qui se meuvent comme par des ressorts.

Les discours des héros arabes à la tête des armées, ou dans les combats singuliers, ou en jurant des trêves, tiennent tous de ce naturel qu’on trouve dans Homère ; mais ils ont incomparablement plus d’enthousiasme et de sublime.

Vers l’an 11 de l’hégire, dans une bataille entre l’armée d’Héraclius et celle des Sarrasins, le général mahométan, nommé Dérar, est pris ; les Arabes en sont épouvantés. Rasi, un de leurs capitaines, court à eux : « Qu’importe, leur dit-il, que Dérar soit pris ou mort ? Dieu est vivant et vous regarde : combattez. » Il leur fait tourner tête, et remporte la victoire.

Un autre s’écrie : « Voilà le ciel, combattez pour Dieu, et il vous donnera la terre. »

Le général Kaled prend dans Damas la fille d’Héraclius et la renvoie sans rançon : on lui demande pourquoi il en use ainsi : « C’est, dit-il, que j’espère reprendre bientôt la fille avec le père dans Constantinople. »

Quand le calife Moavia, prêt d’expirer, l’an 60 de l’hégire, fit assurer à son fils Iesid le trône des califes, qui jusqu’alors était électif, il dit : « Grand Dieu ! si j’ai établi mon fils dans le califat, parce que je l’en ai cru digne, je te prie d’affermir mon fils sur le trône ; mais si je n’ai agi que comme père, je te prie de l’en précipiter. »

Tout ce qui arrive alors caractérise un peuple supérieur. Les succès de ce peuple conquérant semblent dus encore plus à l’enthousiasme qui l’anime qu’à ses conducteurs : car Omar est assassiné par un esclave perse, l’an 653 de notre ère. Othman, son successeur, l’est en 655, dans une émeute. Ali, ce fameux gendre de Mahomet, n’est élu et ne gouverne qu’au milieu des troubles. Il meurt assassiné au bout de cinq ans, comme ses prédécesseurs ; et cependant les armes musulmanes sont toujours heureuses. Ce calife Ali, que les Persans révèrent aujourd’hui, et dont ils suivent les principes, en opposition à ceux d’Omar, avait transféré le siège des califes de la ville de Médine, où Mahomet est enseveli, dans celle de Cufa, sur les bords de l’Euphrate : à peine en reste-t-il