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SUR CONSTANTIN ET LE CHRISTIANISME.

reur Domitien comme des personnages très-dangereux qui avaient un droit tout naturel au trône de David ; que cet empereur prit lui-même la peine de les interroger ; qu’ils répondirent qu’ils étaient de bons paysans, qu’ils labouraient de leurs mains un champ de trente-neuf arpents, le seul bien qu’ils possédassent.

Il calomnie les Romains autant qu’il le peut, parce qu’il était Asiatique. Il ose dire que, de son temps, le sénat de Rome sacrifiait tous les ans un homme à Jupiter. Est-il donc permis d’imputer aux Titus, aux Trajan, aux divins Antonins, des abominations dont aucun peuple ne se souillait alors dans le monde connu ?

C’est ainsi qu’on écrivait l’histoire dans ces temps où le changement de religion donna une nouvelle face à l’empire romain. Grégoire de Tours ne s’est point écarté de cette méthode, et on peut dire que jusqu’à Guichardin et Machiavel, nous n’avons pas eu une histoire bien faite ; mais la grossièreté même de tous ces monuments nous fait voir l’esprit du temps dans lequel ils ont été faits, et il n’y a pas jusqu’aux légendes qui ne puissent nous apprendre à connaître les mœurs de nos nations.

Constantin, devenu empereur malgré les Romains, ne pouvait être aimé d’eux. Il est évident que le meurtre de Licinius, son beau-frère, assassiné malgré la foi des serments ; Licinien, son neveu, massacré à l’âge de douze ans ; Maximien, son beau-père, égorgé par son ordre à Marseille ; son propre fils Crispus, mis à mort après lui avoir gagné des batailles ; son épouse Fausta, étouffée dans un bain ; toutes ces horreurs n’adoucirent pas la haine qu’on lui portait. C’est probablement la raison qui lui fit transférer le siège de l’empire à Byzance. On trouve dans le code Théodosien un édit de Constantin, où il déclare « qu’il a fondé Constantinople par ordre de Dieu ». Il feignait ainsi une révélation pour imposer silence aux murmures : ce trait seul pourrait faire connaître son caractère. Notre avide curiosité voudrait pénétrer dans les replis du cœur d’un homme tel que Constantin, par qui tout changea bientôt dans l’empire romain : séjour du trône, mœurs de la cour, usages, langage, habillements, administration, religion. Comment démêler celui qu’un parti a peint comme le plus criminel des hommes, et un autre comme le plus vertueux ? Si l’on pense qu’il fit tout servir à ce qu’il crut son intérêt, on ne se trompera pas.

De savoir s’il fut cause de la ruine de l’empire, c’est une recherche digne de votre esprit. Il paraît évident qu’il fit la décadence de Rome. Mais en transportant le trône sur le Bosphore de Thrace, il posait dans l’Orient des barrières contre les invasions