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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/283

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CHARLEMAGNE, EMPEREUR D’OCCIDENT.

ce fantôme d’empire romain, détruit en Occident par ses ancêtres. Il faut remarquer que Didier ne fut pas le seul souverain que Charlemagne enferma ; il traita ainsi un duc de Bavière et ses enfants.

La belle-sœur de Charles et ses deux enfants furent remis entre les mains du vainqueur. Les chroniques ne nous apprennent point s’ils furent aussi confinés dans un monastère, ou mis à mort. Le silence de l’histoire sur cet événement est une accusation contre Charlemagne.

Il n’osait pas encore se faire souverain de Rome ; il ne prit que le titre de roi d’Italie, tel que le portaient les Lombards. Il se fit couronner comme eux dans Pavie, d’une couronne de fer qu’on garde encore dans la petite ville de Monza. La justice s’administrait toujours à Rome au nom de l’empereur grec. Les papes recevaient de lui la confirmation de leur élection : c’était l’usage que le sénat écrivît à l’empereur, ou à l’exarque de Ravenne quand il y en avait un : « Nous vous supplions d’ordonner la consécration de notre père et pasteur. » On en donnait part au métropolitain de Ravenne. L’élu était obligé de prononcer deux professions de foi. Il y a loin de là à la tiare ; mais est-il quelque grandeur qui n’ait eu de faibles commencements ?

Charlemagne prit, ainsi que Pepin, le titre de patrice, que Théodoric et Attila avaient aussi daigné prendre. Ainsi ce nom d’empereur, qui dans son origine ne désignait qu’un général d’armée, signifiait encore le maître de l’Orient et de l’Occident. Tout vain qu’il était, on le respectait, on craignait de l’usurper ; on n’affectait que celui de patrice[1], qui autrefois voulait dire sénateur romain.

Les papes, déjà très-puissants dans l’Église, très-grands seigneurs à Rome, et possesseurs de plusieurs terres, n’avaient dans Rome même qu’une autorité précaire et chancelante. Le préfet, le peuple, le sénat, dont l’ombre subsistait, s’élevaient souvent contre eux. Les inimitiés des familles qui prétendaient au pontificat remplissaient Rome de confusion.

Les deux neveux d’Adrien conspirèrent contre Léon III, son successeur, élu père et pasteur, selon l’usage, par le peuple et le clergé romains. Ils l’accusent de beaucoup de crimes ; ils animent les Romains contre lui ; on traîne en prison, on accable de coups à Rome celui qui était si respecté partout ailleurs. Il s’évade, il

  1. M. Renouard a remarqué que Voltaire confond ici le patrice avec le patricien. (B.)