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CHAPITRE XX.

siècles ; et enfin, quand l’erreur a été reconnue, les usages établis par elles ont subsisté dans une partie de l’Église : l’antiquité leur a tenu lieu d’authenticité. Dès ces temps, les évêques d’Occident étaient des seigneurs temporels, et possédaient plusieurs terres en fief ; mais aucun n’était souverain indépendant. Les rois de France nommaient souvent aux évêchés ; plus hardis en cela et plus politiques que les empereurs des Grecs et que les rois de Lombardie, qui se contentaient d’interposer leur autorité dans les élections.

Les premières églises chrétiennes s’étaient gouvernées en républiques sur le modèle des synagogues. Ceux qui présidaient à ces assemblées avaient pris insensiblement le titre d’évêque, d’un mot grec dont les Grecs appelaient les gouverneurs de leurs colonies, et qui signifie inspecteur. Les anciens de ces assemblées se nommaient prêtres, d’un autre mot grec qui signifie vieillard.

Charlemagne, dans sa vieillesse, accorda aux évêques un droit dont son propre fils devint la victime. Ils firent accroire à ce prince que, dans le code rédigé sous Théodose, une loi portait que si de deux séculiers en procès l’un prenait un évêque pour juge, l’autre était obligé de se soumettre à ce jugement sans en pouvoir appeler. Cette loi, qui jamais n’avait été exécutée, passe chez tous les critiques pour supposée. C’est la dernière du code Théodosien ; elle est sans date, sans nom de consuls. Elle a excité une guerre civile sourde entre les tribunaux de la justice et les ministres du sanctuaire ; mais comme en ce temps-là tout ce qui n’était pas clergé était en Occident d’une ignorance profonde, il faut s’étonner qu’on n’ait pas donné encore plus d’empire à ceux qui, seuls étant un peu instruits, semblaient seuls mériter de juger les hommes.

Ainsi que les évêques disputaient l’autorité aux séculiers, les moines commençaient à la disputer aux évêques, qui pourtant étaient leurs maîtres par les canons. Ces moines étaient déjà trop riches pour obéir. Cette célèbre formule de Marculfe était bien souvent mise en usage : « Moi, pour le repos de mon âme, et pour n’être pas placé après ma mort parmi les boucs, je donne à tel monastère, etc.[1] » On crut, dès le ier siècle de l’Église,

  1. Marculfe, moine du viie siècle, a laissé un recueil précieux des formules de tous les actes publics et privés, donations, testaments, contrats de mariage, manumissions, ventes, etc. Ce recueil a été publié à Paris, en 1613, par Jérôme Bignon ; à Francfort, la même année, dans le Codex legum antiquarum, de Lindenbrok ; et à la suite des Capitularia regum francorum, en 1677. (E. B.)