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CHAPITRE XXIV.

et celle de Charlemagne, son grand-père, firent voir aux hommes combien diversement les princes plient la religion à leurs intérêts. Ces intérêts font toujours la destinée de la terre. Un Franc, un Salien avait fondé le royaume de France ; un fils du maire ou majordome, Pepin, avait fondé l’empire franc. Trois frères le divisent à jamais. Ces trois enfants dénaturés, Lothaire, Louis de Bavière, et Charles le Chauve, après avoir versé tant de sang à Fontenai, démembrent enfin l’empire de Charlemagne par la fameuse paix de Verdun. Charles II, surnommé le Chauve, eut la France ; Lothaire, l’Italie, la Provence, le Dauphiné, le Languedoc, la Suisse, la Lorraine, l’Alsace, la Flandre ; Louis de Bavière, ou le Germanique, eut l’Allemagne (843).

C’est à cette époque que les savants dans l’histoire commencent à donner le nom de Français aux Francs ; c’est alors que l’Allemagne a ses lois particulières ; c’est l’origine de son droit public, et en même temps de la haine entre les Français et les Allemands. Chacun des trois frères fut troublé dans son partage par des querelles ecclésiastiques, autant que par les divisions qui arrivent toujours entre des ennemis qui ont fait la paix malgré eux.

C’est au milieu de ces discordes que Charles le Chauve, premier roi de la seule France, et Louis le Germanique, premier roi de la seule Allemagne, assemblèrent un concile à Aix-la-Chapelle contre Lothaire ; et ce Lothaire est le premier empereur franc privé de l’Allemagne et de la France.

Les prélats, d’un commun accord, déclarèrent Lothaire déchu de son droit à la couronne, et ses sujets déliés du serment de fidélité. « Promettez-vous de mieux gouverner que lui ? disent-ils aux deux frères Charles et Louis. — Nous le promettons, répondirent les deux rois. — Et nous, dit l’évêque qui présidait, nous vous permettons par l’autorité divine, et nous vous commandons de régner à sa place. » Ce commandement ridicule n’eut alors aucune suite.

En voyant les évêques donner ainsi les couronnes, on se tromperait si on croyait qu’ils fussent alors tels que des électeurs de l’Empire. Ils s’étaient rendus puissants, à la vérité, mais aucun n’était souverain. L’autorité de leur caractère et le respect des peuples étaient des instruments dont les rois se servaient à leur gré. Il y avait dans ces ecclésiastiques bien plus de faiblesse que de grandeur à décider ainsi du droit des rois suivant les ordres du plus fort.

On ne doit pas être surpris que, quelques années après, un archevêque de Sens, avec vingt autres évêques, ait osé, dans des