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CHAPITRE XLV.

avaient écrit sur ce mystère « d’une manière à faire penser qu’ils ne croyaient pas ce qu’on appela depuis la présence réelle. Car Ratram, dans son écrit adressé à l’empereur Charles le Chauve, dit en termes exprès : « C’est le corps de Jésus-Christ qui est vu, reçu, et mangé, non par les sens corporels, mais par les yeux de l’esprit fidèle. » « Il est évident, ajoute-t-il, qu’il n’y a aucun changement dans le pain et dans le vin ; ils ne sont donc que ce qu’ils étaient auparavant. » Il finit par dire, après avoir cité saint Augustin, que « le pain appelé corps, et le vin appelé sang, sont une figure, parce que c’est un mystère ».

D’autres passages de Ratram sont équivoques : quelques-uns, contradictoires aux premiers, paraissaient favorables à la présence réelle ; mais, de quelque manière qu’il s’entendît et qu’on l’entendît, on écrivit contre lui. Un autre moine bénédictin, nommé Paschase Ratbert, qui vivait à peu près dans le même temps, a passé pour être le premier qui ait développé ce sentiment en termes exprès, en disant que « le pain était le véritable corps qui était sorti de la Vierge ; et le vin avec l’eau, le véritable sang coulé du côté de Jésus, réellement, et non pas en figure ». Cette dispute produisit celle des stercoristes ou stercoranistes, qui, osant examiner physiquement un objet de la foi, prétendirent qu’on digérait le pain et le vin sacrés, et qu’ils suivaient le sort ordinaire des aliments.

Comme ces questions se traitaient en latin, et que les laïques, alors occupés uniquement de la guerre, prenaient peu de part aux disputes de l’école, elles ne produisirent heureusement aucun trouble. Les peuples n’avaient qu’une idée vague et obscure de la plupart des mystères : ils ont toujours reçu leurs dogmes comme la monnaie, sans examiner le poids et le titre.

Enfin Bérenger, archidiacre d’Angers, enseigna vers 1050, par écrit et dans la chaire, que le corps véritable de Jésus-Christ n’est point et ne peut être sous les apparences du pain et du vin.

Il affirmait que ce qui aurait donné une indigestion, s’il avait été mangé en trop grande quantité, ne pouvait être qu’un aliment ; que ce qui aurait enivré si on en avait trop bu, était une liqueur réelle ; qu’il n’y avait point de blancheur sans un objet blanc, point de rondeur sans un objet rond ; qu’il est physiquement impossible que le même corps puisse être en mille lieux à la fois. Ses propositions révoltèrent d’autant plus que Bérenger, ayant une très-grande réputation, avait d’autant plus d’ennemis. Celui qui se distingua le plus contre lui fut Lanfranc, de race lombarde, né à Pavie, qui était venu chercher une fortune en France : il