Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome11.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
417
LA FRANCE ET L’ANGLETERRE AU XIIe SIÈCLE.

qui mette à couvert la vie des peuples. Ce frein de la religion aurait pu être, par une convention universelle, dans la main des papes, comme nous l’avons déjà remarqué[1] ; ces premiers pontifes, en ne se mêlant des querelles temporelles que pour les apaiser, en avertissant les rois et les peuples de leurs devoirs, en reprenant leurs crimes, en réservant les excommunications pour les grands attentats, auraient toujours été regardés comme des images de Dieu sur la terre ; mais les hommes sont réduits à n’avoir pour leur défense que les lois et les mœurs de leur pays : lois souvent méprisées, et mœurs souvent corrompues.

L’Angleterre fut tranquille sous Richard Cœur de Lion, fils et successeur de Henri II. Il fut malheureux par ses croisades dont nous ferons bientôt mention ; mais son pays ne le fut pas. Richard eut avec Philippe-Auguste quelques-unes de ces guerres inévitables entre un suzerain et un vassal puissant : elles ne changèrent rien à la fortune de leurs États. Il faut regarder toutes les guerres pareilles entre les princes chrétiens comme des temps de contagion qui dépeuplent des provinces sans en changer les limites, les usages, et les mœurs. Ce qu’il y eut de plus remarquable dans ces guerres, c’est que Richard enleva, dit-on, à Philippe-Auguste son chartrier qui le suivait partout ; il contenait un détail des revenus du prince, une liste de ses vassaux, un état des serfs et des affranchis. On ajoute que le roi de France fut obligé de faire un nouveau chartrier, dans lequel ses droits furent plutôt augmentés que diminués. Il n’est guère vraisemblable que dans les expéditions militaires on porte ses archives dans une charrette, comme du pain de munition. Mais que de choses invraisemblables nous disent les historiens !

(1194) Un autre fait digne d’attention, c’est la captivité d’un évêque de Beauvais, pris les armes à la main par le roi Richard. Le pape Célestin III redemanda l’évêque. « Rendez-moi mon fils », écrivit-il à Richard. Le roi, en envoyant au pape la cuirasse de l’évêque, lui répondit par ces paroles de l’histoire de Joseph : « Reconnaissez-vous la tunique de votre fils ? »

Il faut observer encore, à l’égard de cet évêque guerrier, que si les lois des fiefs n’obligeaient pas les évêques à se battre, elles les obligeaient pourtant d’amener leurs vassaux au rendez-vous des troupes.

Philippe-Auguste saisit le temporel des évêques d’Orléans et

  1. Voltaire veut probablement parler de ce qu’il a dit dans les Annales de l’Empire, années 858-865).