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CROISADES APRÈS SALADIN.

de la fureur et de l’avarice. Nicétas assure que le seul butin des seigneurs de France fut évalué deux cent mille livres d’argent en poids. Les églises furent pillées, et, ce qui marque assez le caractère de la nation, qui n’a jamais changé, les Français dansèrent avec des femmes dans le sanctuaire de l’église de Sainte-Sophie, tandis qu’une des prostituées qui suivaient l’armée de Baudouin chantait des chansons de sa profession dans la chaire patriarcale. Les Grecs avaient souvent prié la sainte Vierge en assassinant leurs princes ; les Français buvaient, chantaient, caressaient des filles dans la cathédrale en la pillant : chaque nation a son caractère[1].

Ce fut pour la première fois que la ville de Constantinople fut prise et saccagée par des étrangers, et elle le fut par des chrétiens qui avaient fait vœu de ne combattre que les infidèles.

On ne voit pas que ce feu grégeois tant vanté par les historiens ait fait le moindre effet. S’il était tel qu’on le dit, il eût toujours donné sur terre et sur mer une victoire assurée. Si c’était quelque chose de semblable à nos phosphores, l’eau pouvait, à la vérité, le conserver, mais il n’aurait point eu d’action dans l’eau. Enfin, malgré ce secret, les Turcs avaient enlevé presque toute l’Asie Mineure aux Grecs, et les Latins leur arrachèrent le reste.

  1. « On jeta les reliques dans des lieux immondes ; on répandit par terre le corps et le sang de Notre-Seigneur ; on employa les vases sacrés à des usages profanes... Une femme insolente vint danser dans le sanctuaire, et s’asseoir dans les siéges des prêtres. » (Fleuri, année 1204.)

    Le pape Innocent III, si connu par la violence de sa conduite et sa cruauté envers les Albigeois, reprocha aux croisés d’avoir « exposé à l’insolence des valets non-seulement les femmes mariées et les veuves, mais les filles et les religieuses ». (Idem, année 1205.)

    Comme de savants critiques ont prétendu que M. de Voltaire avait altéré l’histoire, nous avons cru devoir placer ici le passage de Fleuri, tiré de Nicétas, auteur contemporain, dont nous rapporterons les expressions, d’après la traduction latine de Jérôme Wolff :

    « Quid... referam... reliquiarum sanctorum martyrum in loca fœda abjectionem ! Quod veroauditu horrendum est, id tum erat cernere ut divinus sanguis et corpus Christi humi effunderetur, et abjiceretur. Qui autem pretiosas eorum capsulas capiebant... ipsas confractas pro patinis et poculis usurpabant...

    « Muli et jumenta sellis instrata usque ad templi adyta introducebantur, quorum nonnulla, cum ob splendidum et lubricum solum pedibus insistero nequirent, prolapsa confodicbantur, ut effusis cruore et stercore sacrum pavimentum inquinaretur. Imo et muliercula quaedam, cooperta peccatis, Christo insultans et in patriarchæ solio consedens, fractum canticum cecinit, et saepe in orbem rotata saltavit... Abominationem et desolationem in loco sancto vidimus meretricios sermones rotundo ore proferentem.

    « Uno consensu omnia summa scelera et piacula omnibus ex æquo studio erant... in angiportis, in triviis, in templis, querelæ, fletus... virorum gemitus, mulierum ejulatus, lacerationes, stupra. » (K.)