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CHAPITRE LVIII.

puisqu’il est mort pour vous, et qu’il a su ressusciter, il saura bien vous sauver. »

Ces deux récits semblent un peu contradictoires ; et ce qui est plus contradictoire encore, c’est que ces émirs fissent tuer des captifs dont ils espéraient une rançon.

Au reste, ces émirs s’en tinrent aux huit cent mille besants auxquels leur soudan avait bien voulu se restreindre ; pour la rançon des captifs ; et lorsqu’en vertu du traité les troupes françaises qui étaient dans Damiette rendirent cette ville, on ne voit point que les vainqueurs fissent le moindre outrage aux femmes. On laissa partir la reine et ses belles-sœurs avec respect. Ce n’est pas que tous les soldats musulmans fussent modérés ; le vulgaire en tout pays est féroce : il y eut sans doute beaucoup de violences commises, des captifs maltraités et tués ; mais enfin j’avoue que je suis étonné que le soldat mahométan n’ait pas exterminé un plus grand nombre de ces étrangers qui, des ports de l’Europe, étaient venus sans aucune raison ravager les terres de l’Égypte.

Saint Louis, délivré de captivité, se retire en Palestine, et y demeure près de quatre ans avec les débris de ses vaisseaux et de son armée. Il va visiter Nazareth au lieu de retourner en France, et enfin ne revient dans sa patrie qu’après la mort de la reine Blanche, sa mère ; mais il y rentre pour former une croisade nouvelle.

Son séjour à Paris lui procurait continuellement des avantages et de la gloire. Il reçut un honneur qu’on ne peut rendre qu’à un roi vertueux. Le roi d’Angleterre, Henri III, et ses barons, le choisirent pour arbitre de leurs querelles. Il prononça l’arrêt en souverain ; et si cet arrêt, qui favorisait Henri III, ne put apaiser les troubles de l’Angleterre, il fit voir au moins à l’Europe quel respect les hommes ont malgré eux pour la vertu. Son frère, le comte d’Anjou, dut à la réputation de Louis, et au bon ordre de son royaume, l’honneur d’être choisi par le pape pour roi de Sicile, honneur qu’il ne méritait pas par lui-même.

Louis cependant augmentait ses domaines de l’acquisition de Namur, de Péronne, d’Avranches, de Mortagne, du Perche ; il pouvait ôter aux rois d’Angleterre tout ce qu’ils possédaient en France. Les querelles de Henri III et de ses barons lui facilitaient les moyens ; mais il préféra la justice à l’usurpation. Il les laissa jouir de la Guienne, du Périgord, du Limousin ; mais il les fit renoncer pour jamais à la Touraine, au Poitou, à la Normandie, réunis à la couronne par Philippe-Auguste : ainsi la paix fut affermie avec sa réputation.