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DE L’ESPAGNE AUX XIIe ET XIIIe SIÈCLES.

l’Aragon ; quelquefois ces trois provinces se faisaient la guerre à la fois, et dans chacun de ces royaumes il y avait souvent une guerre intestine. Il y eut de suite trois rois d’Aragon qui joignirent à cet État la plus grande partie de la Navarre, dont les musulmans occupaient le reste, Alfonse le Batailleur, qui mourut en 1134, fut le dernier de ces rois. On peut juger de l’esprit du temps, et du mauvais gouvernement, par le testament de ce roi qui laissa ses royaumes aux chevaliers du Temple et à ceux de Jérusalem. C’était ordonner des guerres civiles par sa dernière volonté. Heureusement ces chevaliers ne se mirent pas en état de soutenir le testament. Les états d’Aragon, toujours libres, élurent pour leur roi don Ramire, frère du roi dernier mort, quoique moine depuis quarante ans, et évêque depuis quelques années. On l’appela le prêtre-roi, et le pape Innocent II lui donna une dispense pour se marier.

(1134) La Navarre, dans ces secousses, fut divisée de l’Aragon, et redevint un royaume particulier qui passa depuis, par des mariages, aux comtes de Champagne, appartint à Philippe le Bel et à la maison de France, ensuite tomba dans celles de Foix et d’Albret, et est absorbé aujourd’hui dans la monarchie d’Espagne.

(1158) Pendant ces divisions les Maures se soutinrent : ils reprirent Valence. Leurs incursions donnèrent naissance à l’ordre de Calatrava. Des moines de Cîteaux, assez puissants pour fournir aux frais de la défense de la ville de Calatrava, armèrent leurs frères convers avec plusieurs écuyers, qui combattirent en portant le scapulaire. Bientôt après se forma cet ordre, qui n’est plus aujourd’hui ni religieux ni militaire, dans lequel on peut se marier une fois, et qui ne consiste que dans la jouissance de plusieurs commanderies en Espagne.

Les querelles des chrétiens durèrent toujours, et les mahométans en profitèrent quelquefois. Vers l’an 1197, un roi de Navarre, nommé don Sanche, persécuté par les Castillans et les Aragonais, fut obligé d’aller en Afrique implorer le secours du miramolin de l’empire de Maroc ; mais ce qui devait faire une révolution n’en fit point.

Lorsque autrefois l’Espagne entière était réunie sous le roi don Rodrigue, prince peut-être incontinent, mais brave, elle fut subjuguée en moins de deux années ; et maintenant qu’elle était divisée entre tant de dominations jalouses, ni les miramolins d’Afrique, ni le roi maure d’Andalousie, ne pouvaient faire des conquêtes. C’est que les Espagnols étaient plus aguerris, que le pays était hérissé de forteresses, qu’on se réunissait dans les plus