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DE LA SUISSE, ET DE SA RÉVOLUTION.

Albert d’Autriche, son fils, étant parvenu à l’empire, voulut faire de la Suisse une principauté pour un de ses enfants. Une partie des terres du pays était de son domaine, comme Lucerne, Zurich, et Glaris. Des gouverneurs sévères furent envoyés, qui abusèrent de leur pouvoir.

Les fondateurs de la liberté helvétienne se nommaient Melchtal, Stauffacher, et Walther Furst. La difficulté de prononcer des noms si respectables nuit à leur célébrité. Ces trois paysans furent les premiers conjurés ; chacun d’eux en attira trois autres. Ces neuf gagnèrent les trois cantons de Schwitz, d’Uri, et d’Underwald.

Tous les historiens prétendent que, tandis que cette conspiration se tramait, un gouverneur d’Uri, nommé Gessler, s’avisa d’un genre de tyrannie ridicule et horrible (1307). Il fit mettre, dit-on, un de ses bonnets au haut d’une perche dans la place, et ordonna qu’on saluât le bonnet sous peine de la vie. Un des conjurés, nommé Guillaume Tell, ne salua point le bonnet. Le gouverneur le condamna à être pendu, et ne lui donna sa grâce qu’à condition que le coupable, qui passait pour archer très-adroit, abattrait d’un coup de flèche une pomme placée sur la tête de son fils[1]. Le père, tremblant, tira, et fut assez heureux pour abattre la pomme. Gessler, apercevant une seconde flèche sous l’habit de Tell, demanda ce qu’il en prétendait faire. « Elle t’était destinée, dit le Suisse, si j’avais blessé mon fils. » Il faut convenir que l’histoire de la pomme est bien suspecte. Il semble qu’on ait cru devoir orner d’une fable le berceau de la liberté helvétique ; mais on tient pour constant que Tell, ayant été mis aux fers, tua ensuite le gouverneur d’un coup de flèche ; que ce fut le signal des conjurés, que les peuples démolirent les forteresses.

L’empereur Albert d’Autriche, qui voulait punir ces hommes libres, fut prévenu par la mort. Le duc d’Autriche, Léopold, assembla contre eux vingt mille hommes. Les Suisses se conduisirent comme les Lacédémoniens aux Thermopyles (1315). Ils attendirent, au nombre de quatre ou cinq cents, la plus grande partie de l’armée autrichienne au pas[2] de Morgarten. Plus heureux que les Lacédémoniens, ils mirent en fuite leurs ennemis en roulant sur eux des pierres. Les autres corps de l’armée ennemie

  1. On prétend que ce conte est tiré d’une ancienne légende danoise. (Note de Voltaire.)
  2. C’est le texte des éditions de 1756, 1761, 1769 (in-4°), 1775, et de celles de Kehl. Quelques éditions portent bas. (B.)