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SUITE DE L’ITALIE AU XVIIe SIÈCLE.

altérée un seul moment ; nul trouble, nulle sédition, nul danger dans la ville. Si on allait à Rome et à Florence pour y voir les grands monuments des beaux-arts, les étrangers s’empressaient d’aller goûter dans Venise la liberté et les plaisirs ; et on y admirait encore, ainsi qu’à Rome, d’excellents morceaux de peinture. Les arts de l’esprit y étaient cultivés ; les spectacles y attiraient les étrangers. Rome était la ville des cérémonies, et Venise la ville des divertissements : elle avait fait la paix avec les Turcs, après la bataille de Lépante, et son commerce, quoique déchu, était encore considérable dans le Levant : elle possédait Candie, et plusieurs îles, l’Istrie, la Dalmatie, une partie de l’Albanie, et tout ce qu’elle conserve de nos jours en Italie.

(1618) Au milieu de ses prospérités, elle fut sur le point d’être détruite par une conspiration qui n’avait point d’exemple depuis la fondation de la république. L’abbé de Saint-Réal, qui a écrit cet événement célèbre avec le style de Salluste[1], y a mêlé quelques embellissements de roman ; mais le fond en est très-vrai. Venise avait eu une petite guerre avec la maison d’Autriche sur les côtes de l’Istrie. Le roi d’Espagne, Philippe III, possesseur du Milanais, était toujours l’ennemi secret des Vénitiens. Le duc d’Ossone, vice-roi de Naples, don Pèdre de Tolède, gouverneur de Milan, et le marquis de Bedmar, ambassadeur d’Espagne à Venise, depuis cardinal de la Cueva, s’unirent tous trois pour anéantir la république : les mesures étaient si extraordinaires, et le projet si hors de vraisemblance, que le sénat, tout vigilant et tout éclairé qu’il était, ne pouvait en concevoir de soupçon. Venise était gardée par sa situation, et par les lagunes qui l’environnent. La fange de ces lagunes, que les eaux portent tantôt d’un côté, tantôt d’un autre, ne laisse jamais le même chemin ouvert aux vaisseaux ; il faut chaque jour indiquer une route nouvelle. Venise avait une flotte formidable sur les côtes de l’Istrie, où elle faisait la guerre à l’archiduc d’Autriche Ferdinand, qui fut depuis l’empereur Ferdinand II. Il paraissait impossible d’entrer dans Venise : cependant le marquis de Bedmar rassemble des étrangers dans la ville, attirés les uns par les autres jusqu’au nombre de cinq cents. Les principaux conjurés les engagent sous différents prétextes, et s’assurent de leur service avec l’argent que l’ambassadeur fournit. On doit mettre le feu à la ville en plusieurs endroits à la fois ; des troupes du Milanais doivent arriver par la terre ferme ; des matelots gagnés doivent montrer le che-

  1. Conjuration contre Venise.