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CHAPITRE CLXXXVII.

d’assauts, fut nommé la cité victorieuse, nom qu’il conserve encore aujourd’hui. Le grand-maître de La Valette fit bâtir une cité nouvelle, qui porte le nom de La Valette, et qui rendit Malte imprenable. Cette petite île a toujours, depuis ce temps, bravé toute la puissance ottomane ; mais l’ordre n’a jamais été assez riche pour tenter de grandes conquêtes, ni pour équiper des flottes nombreuses. Ce monastère de guerriers ne subsiste guère que des bénéfices qu’il possède dans les États catholiques, et il a fait bien moins de mal aux Turcs que les corsaires algériens n’en ont fait aux chrétiens.

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CHAPITRE CLXXXVII.


De la Hollande au xviie siècle.


La Hollande mérite d’autant plus d’attention que c’est un État d’une espèce toute nouvelle, devenu puissant sans posséder presque de terrain, riche en n’ayant pas de son fonds de quoi nourrir la vingtième partie de ses habitants, et considérable en Europe par ses travaux au bout de l’Asie. (1609) Vous voyez cette république reconnue libre et souveraine par le roi d’Espagne, son ancien maître, après avoir acheté sa liberté par quarante ans de guerre. Le travail et la sobriété furent les premiers gardiens de cette liberté. On raconte que le marquis de Spinola et le président Richardot, allant à la Haye, en 1608, pour négocier chez les Hollandais mêmes cette première trêve, ils virent sur leur chemin sortir d’un petit bateau huit ou dix personnes qui s’assirent sur l’herbe, et firent un repas de pain, de fromage et de bière, chacun portant soi-même ce qui lui était nécessaire. Les ambassadeurs espagnols demandèrent à un paysan qui étaient ces voyageurs. Le paysan répondit : « Ce sont les députés des états, nos souverains seigneurs et maîtres. » Les ambassadeurs espagnols s’écrièrent : « Voilà des gens qu’on ne pourra jamais vaincre, et avec lesquels il faut faire la paix. » C’est à peu près ce qui était arrivé autrefois à des ambassadeurs de Lacédémone, et à ceux du roi de Perse. Les mêmes mœurs peuvent avoir ramené la même aventure. En général les particuliers de ces provinces étaient pauvres alors, et l’État riche ; au lieu que depuis, les citoyens