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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome13.djvu/170

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CHAPITRE CXCIV.

diamants, surmonté d’un paon qui étalait une queue de pierreries ; tout le reste était proportionné à cette étrange magnificence. Le jour le plus solennel de l’année était celui où l’on pesait l’empereur dans des balances d’or, en présence du peuple ; et, ce jour-là, il recevait pour plus de cinquante millions de présents[1].

Si jamais le climat a influé sur les hommes, c’est assurément dans l’Inde : les empereurs y étalaient le même luxe, vivaient dans la même mollesse que les rois indiens dont parle Quinte-Curce ; et les vainqueurs tartares prirent insensiblement ces mêmes mœurs, et devinrent Indiens.

Tout cet excès d’opulence et de luxe n’a servi qu’au malheur de l’Indoustan. Il est arrivé, en 1739, au petit-fils d’Aurengzeb, Mahamad-Sha, la même chose qu’à Crésus. On avait dit à ce roi de Lydie : « Vous avez beaucoup d’or, mais celui qui se servira du fer mieux que vous vous enlèvera tout cet or. »

Thamas Kouli-kan, élevé au trône de Perse après avoir détrôné son maître, vaincu les aguans, et pris Candahar, est venu jusqu’à la capitale des Indes, sans autre raison que l’envie d’arracher au Mogol tous ces trésors que les Mogols avaient pris aux Indiens. Il n’y a guère d’exemple ni d’une plus grande armée que celle du grand Mogol Mahamad, levée contre Thamas Kouli-kan, ni d’une plus grande faiblesse. Il opposa douze cent mille hommes, dix mille pièces de canon, et deux mille éléphants armés en guerre, au vainqueur de la Perse, qui n’avait pas avec lui soixante mille combattants. Darius n’avait pas armé tant de forces contre Alexandre.

On ajoute encore que cette multitude d’Indiens était couverte par des retranchements de six lieues d’étendue, du côté que Thamas Kouli-kan pouvait attaquer ; c’était bien sentir sa faiblesse. Cette armée innombrable devait entourer les ennemis, leur couper la communication, et les faire périr par la disette dans un pays qui leur était étranger. Ce fut, au contraire, la petite armée persane qui assiégea la grande, lui coupa les vivres, et la détruisit en détail. Le Grand Mogol Mahamad semblait n’être venu que pour étaler sa vaine grandeur, et pour la soumettre à des brigands aguerris. Il vint s’humilier devant Thamas Kouli-kan, qui lui parla en maître, et le traita en sujet. Le vainqueur entra dans Delhi, ville qu’on nous représente plus grande et plus peuplée que

  1. Les voyageurs européens Tavernier, Thévenot, Bernier, Dellon, Tryer, de Graaf, Manucci, nous ont laissé des relations intéressantes sur la politique et la magnificence de cet empereur.