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CHAPITRE CXCV.

comme des Arabes de Mahomet, qui furent pendant plus de trois cents ans si redoutables par eux-mêmes.

La mort de l’empereur Taïtsong, que les Tartares perdirent en ce temps-là, ne les empêcha pas de poursuivre leurs conquêtes. Ils élurent un de ses neveux encore enfant ; c’est Chun-tchi, père du célèbre Kanghi[1], sous lequel la religion chrétienne a fait des progrès à la Chine. Ces peuples, qui avaient d’abord pris les armes pour défendre leur liberté, ne connaissaient pas le droit héréditaire. Nous voyons que tous les peuples ont commencé par élire des chefs pour la guerre ; ensuite ces chefs sont devenus absolus, excepté chez quelques nations d’Europe. Le droit héréditaire s’établit et devient sacré avec le temps.

Une minorité ruine presque toujours des conquérants, et ce fut pendant cette minorité de Chun-tchi que les Tartares achevèrent de subjuguer la Chine. L’usurpateur Li-tsé-tching fut tué par un autre usurpateur chinois qui prétendait venger le dernier empereur. On reconnut dans plusieurs provinces des enfants vrais ou faux du dernier prince détrôné et étranglé, comme on avait produit des Demetri en Russie. Des mandarins chinois tâchèrent d’usurper des provinces, et les grands usurpateurs tartares vinrent enfin à bout de tous les petits. Il y eut un général chinois qui arrêta quelque temps leurs progrès, parce qu’il avait quelques canons, soit qu’il les eût des Portugais de Macao, soit que le jésuite Schall les eût fait fondre. Il est très-remarquable que les Tartares, dépourvus d’artillerie, l’emportèrent à la fin sur ceux qui en avaient : c’était le contraire de ce qui était arrivé dans le nouveau monde, et une preuve de la supériorité des peuples du Nord sur ceux du Midi.

Ce qu’il y a de plus surprenant, c’est que les Tartares conquirent pied à pied tout ce vaste empire de la Chine sous deux minorités ; car leur jeune empereur Chun-tchi étant mort, en 1661, à l’âge de vingt-quatre ans, avant que leur domination fût entièrement affermie, ils élurent son fils, Kang-ki, au même âge de huit ans auquel ils avaient élu son père, et ce Kang-ki a rétabli l’empire de la Chine, ayant été assez sage et assez heureux pour se faire également obéir des Chinois et des Tartares. Les missionnaires qu’il fit mandarins l’ont loué comme un prince parfait. Quelques voyageurs, et surtout Le Gentil, qui n’ont point été mandarins, disent qu’il était d’une avarice sordide, et plein de caprices ; mais ces détails personnels n’entrent point dans

  1. On lit Cam-hi, tome XI, page 55.