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CHAPITRE CLXXVIII.

les Pays-Bas, à la tête des troupes allemandes, sans se mêler de la querelle. En vain cet empereur se fit élire roi de Pologne, en 1575, après le départ du roi de France Henri III, départ regardé comme une abdication : Battori, vaivode de Transylvanie, vassal de l’empereur, l’emporta sur son souverain, et la protection de la Porte ottomane, sous laquelle était ce Battori, fut plus puissante que la cour de Vienne.

Rodolphe II, successeur de son père Maximilien II, tint les rênes de l’empire d’une main encore plus faible. Il était à la fois empereur, roi de Bohême et de Hongrie ; et il n’influa en rien ni sur la Bohême, ni sur la Hongrie, ni sur l’Allemagne, et encore moins sur l’Italie, Les temps de Rodolphe semblent prouver qu’il n’est point de règle générale en politique.

Ce prince passait pour être beaucoup plus incapable de gouverner que le roi de France Henri III. La conduite du roi de France lui coûta la vie, et perdit presque le royaume ; la conduite de Rodolphe, beaucoup plus faible, ne causa aucun trouble en Allemagne. La raison en est qu’en France tous les seigneurs voulurent s’établir sur les ruines du trône, et que les seigneurs allemands étaient déjà tout établis.

Il y a des temps où il faut qu’un prince soit guerrier. Rodolphe, qui ne le fut pas, vit toute la Hongrie envahie par les Turcs. L’Allemagne était alors si mal administrée qu’on fut obligé de faire une quête publique pour avoir de quoi s’opposer aux conquérants ottomans. Des troncs furent établis aux portes de toutes les églises : c’est la première guerre qu’on ait faite avec des aumônes ; elle fut regardée comme sainte, et n’en fut pas plus heureuse ; sans les troubles du sérail, il est vraisemblable que la Hongrie restait pour jamais sous le pouvoir de Constantinople.

On vit précisément en Allemagne, sous cet empereur, ce qu’on venait de voir en France sous Henri III, une ligue catholique contre une ligue protestante, sans que le souverain pût arrêter les efforts ni de l’une ni de l’autre. La religion, qui avait été si longtemps la cause de tant de troubles dans l’empire, n’en était plus que le prétexte. Il s’agissait de la succession aux duchés de Clèves et de Juliers. C’était encore une suite du gouvernement féodal ; on ne pouvait guère décider que par les armes à qui ces fiefs appartenaient. Les maisons de Saxe, de Brandebourg, de Neubourg, les disputaient. L’archiduc Léopold, cousin de l’empereur, s’était mis en possession de Clèves, en attendant que l’affaire fût jugée. Cette querelle fut, comme nous l’avons vu,