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ANNALES DE L’EMPIRE.

toire avait brisé cette balance. On faisait sommer tous les princes, tous les possesseurs des fiefs, de produire leurs titres.

On ne donna que quinze jours au duc de Parme, qui relevait alors du saint-siége, pour faire hommage à l’empereur. On distribuait dans Rome un manifeste qui attaquait la puissance temporelle du pape, et qui annulait toutes les donations des empereurs faites sans l’intervention de l’empire. Il est vrai que, si par ce manifeste on soumettait le pape à l’empereur, on y faisait dépendre aussi les décrets impériaux du corps germanique ; mais on se sert dans un temps des armes qu’on rejette dans un autre, et il ne s’agissait que de dominer en Italie à quelque titre et à quelque prix que ce fût.

Tous les princes étaient consternés. On ne se serait pas attendu que trente-quatre cardinaux eussent eu alors la hardiesse et la générosité de faire ce que ni Venise, ni Florence, ni Gênes, ni Parme, n’osaient entreprendre. Ils levèrent une petite armée à leurs dépens : l’un donna cent mille écus, l’autre quatre-vingt mille ; celui-ci cent chevaux, cet autre cinquante fantassins ; les paysans furent armés ; mais tout le fruit de cette entreprise fut de se soumettre, les armes à la main, aux conditions que prescrivit Joseph. Le pape fut obligé de congédier son armée, de ne conserver que cinq mille hommes dans tout l’État ecclésiastique, de nourrir les troupes impériales, de leur abandonner Comacchio, et de reconnaître l’archiduc Charles pour roi d’Espagne. Amis et ennemis, tout ressentit le pouvoir de Joseph : il ôte, en 1709, le Vigevanase et les fiefs des Langues au duc de Savoie, et cependant ce prince n’ose quitter son parti.

Joseph Ier meurt à trente-trois ans, en 1711, dans le cours de ses prospérités.

Charles VI, son frère, se trouve maître de presque toute la Hongrie soumise, des États héréditaires d’Allemagne florissants, du Milanais, du Mantouan, de Naples et Sicile, de neuf provinces des Pays-Bas ; et si on avait écouté, en 1709, les propositions de la France alors accablée, ce même Charles VI aurait eu encore l’Espagne et le nouveau monde. C’était alors qu’il n’y aurait point eu de balance en Europe. Les Anglais, qui avaient combattu uniquement pour cette balance, murmurèrent contre la reine Anne, qui la rétablit par la paix d’Utrecht ; tant la haine contre Louis XIV prévalait sur les intérêts réels. Charles VI resta encore le plus puissant prince de l’Europe, après sa paix particulière de Bade et de Rastadt.

Mais quelque puissant qu’il fût quand il prit possession de