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DE L’ANGLETERRE JUSQU’A L’ANNÉE 1641.

point été attendris. » Mettant ainsi ses droits en compromis par de vains discours mal reçus, il n’obtint presque jamais l’argent qu’il demandait. Ses libéralités et son indigence l’obligèrent, comme plusieurs autres princes, de vendre des dignités et des litres que la vanité paye toujours chèrement. Il créa deux cents chevaliers baronnets héréditaires ; ce faible honneur fut payé deux mille livres sterling par chacun d’eux. Toute la prérogative de ces baronnets consistait à passer devant les chevaliers : ni les uns ni les autres n’entraient dans la chambre des pairs ; et le reste de la nation fit peu de cas de cette distinction nouvelle.

Ce qui aliéna surtout les Anglais de lui, ce fut son abandonnement à ses favoris. Louis XIII, Philippe III, et Jacques, avaient en même temps le même faible ; et tandis que Louis XIII était absolument gouverné par Cadenet, créé duc de Luines, Philippe III par Sandoval, fait duc de Lerme, Jacques l’était par un Écossais nommé Carr, qu’il fit comte de Sommerset, et depuis il quitta ce favori pour Georges Villiers, comme une femme abandonne un amant pour un autre.

Ce Georges Villiers est ce même Buckingham, fameux alors dans l’Europe par les agréments de sa figure, par ses galanteries, et par ses prétentions. Il fut le premier gentilhomme qui fut duc en Angleterre sans être parent ou allié des rois. C’était un de ces caprices de l’esprit humain, qu’un roi théologien, écrivant sur la controverse, se livrât sans réserve à un héros de roman. Buckingham mit dans la tête du prince de Galles, qui fut depuis l’infortuné Charles Ier, d’aller déguisé, et sans aucune suite, faire l’amour, dans Madrid, à l’infante d’Espagne, dont on ménageait alors le mariage avec ce jeune prince, s’offrant à lui servir d’écuyer dans ce voyage de chevalerie errante. Jacques, que l’on appelait le Salomon d’Angleterre, donna les mains à cette bizarre aventure, dans laquelle il hasardait la sûreté de son fils. Plus il fut obligé de ménager alors la branche d’Autriche, moins il put servir la cause protestante et celle du Palatin son gendre.

Pour rendre l’aventure complète, le duc de Buckingham, amoureux de la duchesse d’Olivarès, outragea de paroles le duc son mari, premier ministre, rompit le mariage avec l’infante, et ramena le prince de Galles en Angleterre aussi précipitamment qu’il en était parti. Il négocia aussitôt le mariage de Charles avec Henriette, fille de Henri IV et sœur de Louis XIII ; et, quoiqu’il se laissât emporter en France à de plus grandes témérités qu’en Espagne, il réussit : mais Jacques ne regagna jamais dans sa nation le crédit qu’il avait perdu. Ces prérogatives de la majesté