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ÉCRIVAINS FRANÇAIS

le Cid ; il est tiré entièrement, comme le Cid, d’une tragédie espagnole. Mort en 1650[1].

Rousseau (Jean-Baptiste), né à Paris en 1669[2]. De beaux vers, de grandes fautes et de longs malheurs le rendirent très-fameux. Il faut, ou lui imputer les couplets qui le firent bannir, couplets semblables à plusieurs qu’il avait avoués, ou flétrir deux tribunaux qui prononcèrent contre lui. Ce n’est pas que deux tribunaux, et même des corps plus nombreux, ne puissent commettre unanimement de très-violentes injustices, quand l’esprit de parti domine. Il y avait un parti furieux acharné contre Rousseau. Peu d’hommes ont autant excité et senti la haine. Tout le public fut soulevé contre lui jusqu’à son bannissement, et même encore quelques années après ; mais enfin les succès de Lamotte, son rival, l’accueil qu’on lui faisait, sa réputation qu’on croyait usurpée, l’art qu’il avait eu de s’établir une espèce d’empire dans la littérature, révoltèrent contre lui tous les gens de lettres, et les ramenèrent à Rousseau, qu’ils ne craignaient plus. Ils lui rendirent presque tout le public. Lamotte leur parut trop heureux, parce qu’il était riche et accueilli. Ils oubliaient que cet homme était aveugle et accablé de maladies. Ils voyaient dans Rousseau un banni infortuné, sans songer qu’il est plus triste d’être aveugle et malade que de vivre à Vienne et à Bruxelles. Tous deux étaient en effet très-malheureux ; l’un par la nature, l’autre par l’aventure funeste qui le fit condamner. Tous deux servent à faire voir combien les hommes sont injustes, combien ils varient dans leurs jugements, et qu’il y a de la folie à se tourmenter pour arracher leurs suffrages. Mort à Bruxelles en 1740[3].

Rousseau eut rarement dans ses ouvrages de l’aménité, des grâces, du sentiment, de l’invention ; il savait très-bien tourner une épigramme licencieuse et une stance. Ses épîtres sont écrites avec une plume de fer trempée dans le fiel le plus dégoûtant. Il appelle Mlles Louvancourt, qui étaient trois sœurs très-aimables, trio de louves acharnées[4] ; il appelle le conseiller d’État Rouillé tabarin mordant, caustique et rustre, après lui avoir prodigué des louanges dans une ode assez médiocre[5]. Les mots de

  1. Voltaire aurait dû signaler l’héroïsme de sa mort. (G. A.)
  2. J.-B. Rousseau est né à Paris le 6 avril 1671 ; voyez la Vie de J.-B. Rousseau dans les Mélanges, à la date de 1738.
  3. Le 17 mars 1741.
  4. Voyez la Vie de J.-B. Rousseau, § ii, in fine.
  5. C’est l’ode iii du livre II, en tête de laquelle on lit : À M. de Caumartin, mais que Rousseau avait d’abord adressée à M. Rouillé du Coudray.