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ARTISTES CÉLÈBRES.


MUSICIENS.


La musique française, du moins la vocale, n’a été jusqu’ici du goût d’aucune autre nation. Elle ne pouvait l’être, parce que la prosodie française est différente de toutes celles de l’Europe. Nous appuyons toujours sur la dernière syllabe, et toutes les autres nations pèsent sur la pénultième ou sur l’antépénultième, ainsi que les Italiens. Notre langue est la seule qui ait des mots terminés par des e muets, et ces e, qui ne sont pas prononcés dans la déclamation ordinaire, le sont dans la déclamation notée, et le sont d’une manière uniforme gloi-reu, victoi-reu, barbari-eu, furi-eu… Voilà ce qui rend la plupart de nos airs et notre récitatif insupportables à quiconque n’y est pas accoutumé. Le climat refuse encore aux voix la légèreté que donne celui d’Italie ; nous n’avons point l’habitude, qu’on a eue longtemps chez le pape et dans les autres cours italiennes, de priver les hommes de leur virilité pour leur donner une voix plus belle que celle des femmes. Tout cela, joint à la lenteur de notre chant, qui fait un étrange contraste avec la vivacité de notre nation, rendra toujours la musique française propre pour les seuls Français.

Malgré toutes ces raisons, les étrangers qui ont été longtemps en France conviennent que nos musiciens ont fait des chefs d’œuvre en ajustant leurs airs à nos paroles, et que cette déclamation notée a souvent une expression admirable ; mais elle ne l’a que pour des oreilles très-accoutumées, et il faut une exécution parfaite. Il faut des acteurs : en Italie, il ne faut que des chanteurs.

La musique instrumentale s’est ressentie un peu de la monotonie et de la lenteur qu’on reproche à la vocale ; mais plusieurs de nos symphonies, et surtout nos airs de danse, ont trouvé plus d’applaudissements chez les autres nations. On les exécute dans beaucoup d’opéras italiens ; il n’y en a presque jamais d’autres