Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/191

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Louis XIII fut le dernier qui observa cette coutume : il envoya un héraut d’armes à Bruxelles déclarer la guerre à l’Espagne en 1635.

Vous savez que rien n’était plus commun alors que de voir des prêtres commander des armées : le cardinal infant, le cardinal de Savoie, Richelieu, La Valette, Sourdis, archevêque de Bordeaux, le cardinal Théodore Trivulce, commandant de la cavalerie espagnole, avaient endossé la cuirasse, et fait la guerre eux-mêmes. Un évêque de Mende avait été souvent intendant d’armées. Les papes menacèrent quelquefois d’excommunication ces prêtres guerriers. Le pape Urbain VIII, fâché contre la France, fit dire au cardinal de La Valette qu’il le dépouillerait du cardinalat s’il ne quittait les armes ; mais, réuni avec la France, il le combla de bénédictions.

Les ambassadeurs, non moins ministres de paix que les ecclésiastiques, ne faisaient nulle difficulté de servir dans les armées des puissances alliées, auprès desquelles ils étaient employés. Charnacé, envoyé de France en Hollande, y commandait un régiment en 1637, et depuis même l’ambassadeur d’Estrades fut colonel à leur service.

La France n’avait en tout qu’environ quatre-vingt mille hommes effectifs sur pied. La marine, anéantie depuis des siècles, rétablie un peu par le cardinal de Richelieu, fut ruinée sous Mazarin. Louis XIII n’avait qu’environ quarante-cinq millions réels de revenu ordinaire ; mais l’argent était à vingt-six livres le marc : ces quarante-cinq millions revenaient à environ quatre vingt-cinq millions de notre temps, où la valeur arbitraire du marc d’argent monnayé est poussée jusqu’à quarante-neuf livres et demie, celle de l’argent fin, à cinquante-quatre livres dix-sept sous ; valeur que l’intérêt public et la justice demandent qui ne soit jamais changée[1].

  1. Comme dans la suite il sera souvent question de cette opération sur les monnaies, et que M. de Voltaire n’en a discuté les effets dans aucun de ses ouvrages, on nous pardonnera d’entrer ici dans quelques détails.

    La livre numéraire n’est qu’une dénomination arbitraire qu’on emploie pour exprimer une certaine partie d’un marc d’argent. Cette proposition : le marc d’argent vaut cinquante livres, est l’équivalent de celle-ci : j’appelle livre la cinquantième partie du marc d’argent. Ainsi un édit qui prononcerait que le marc d’argent vaudrait cent livres ne ferait autre chose que déclarer que, dans la suite, on donnera dans les actes le nom de livre à la centième partie du marc d’argent, au lieu de donner ce nom à la cinquantième. Cette opération est donc absolument indifférente en elle-même ; mais elle ne l’est pas dans ses effets.

    Il est d’un usage général d’exprimer en livres la valeur de tous les engagements pécuniaires ; si donc on change cette dénomination de livre, et qu’au lieu d’exprimer la cinquantième partie d’un marc d’argent, par exemple, elle n’en