Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/199

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Cette journée de Rocroi devint l’époque de la gloire française et de celle de Condé. Il sut vaincre et profiter de la victoire. Ses lettres à la cour firent résoudre le siège de Thionville, que le cardinal de Richelieu n’avait pas osé hasarder ; et au retour de ses courriers, tout était déjà préparé pour cette expédition.

Le prince de Condé passa à travers le pays ennemi, trompa la vigilance du général Reck, et prit enfin Thionville (8 août 1643). De là il courut mettre le siège devant Syrck, et s’en rendit maître. Il fit repasser le Rhin aux Allemands ; il le passa après eux ; il courut réparer les pertes et les défaites que les Français avaient essuyées sur ces frontières après la mort du maréchal de Guébriant. Il trouva Fribourg pris, et le général Merci sous ses murs avec une armée supérieure encore à la sienne. Condé avait sous lui deux maréchaux de France, dont l’un était Grammont, et l’autre ce Turenne, fait maréchal depuis peu de mois, après avoir servi heureusement en Piémont contre les Espagnols. Il jetait alors les fondements de la grande réputation qu’il eut depuis. Le prince, avec ces deux généraux, attaqua le camp de Merci, retranché sur deux éminences. (31 août 1644) Le combat recommença trois fois, à trois jours différents[1]. On dit que le duc d’Enghien jeta son bâton de commandement dans les retranchements des ennemis, et marcha pour le reprendre, l’épée à la main, à la tête du régiment de Conti. Il fallait peut-être des actions aussi hardies pour mener les troupes à des attaques si difficiles. Cette bataille de Fribourg, plus meurtrière que décisive, fut la seconde victoire de ce prince. Merci décampa quatre jours après. Philipsbourg et Mayence rendus furent la preuve et le fruit de la victoire.

Le duc d’Enghien retourne à Paris, reçoit les acclamations du peuple, et demande des récompenses à la cour ; il laisse son armée au prince maréchal de Turenne. Mais ce général, tout habile qu’il est déjà, est battu à Mariendal. (Avril 1645) Le prince revole à l’armée, reprend le commandement, et joint à la gloire de commander encore Turenne celle de réparer sa défaite. Il attaque Merci dans les plaines de Nordlingen. Il y gagne une bataille complète (3 août 1645), le maréchal de Grammont y est pris ; mais le général Glen, qui commandait sous Merci, est fait prisonnier, et Merci est au nombre des morts. Ce général, regardé comme un des plus grands capitaines, fut enterré près du champ de bataille ;

  1. Dans les Annales de l’Empire, voyez tome XIII, page 588, Voltaire dit que les combats eurent lieu du 5 au 9.