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CHAPITRE IV.

GUERRE CIVILE.


La reine Anne d’Autriche, régente absolue, avait fait du cardinal Mazarin le maître de la France, et le sien. Il avait sur elle cet empire qu’un homme adroit devait avoir sur une femme née avec assez de faiblesse pour être dominée, et avec assez de fermeté pour persister dans son choix.

On lit dans quelques Mémoires de ces temps-là que la reine ne donna sa confiance à Mazarin qu’au défaut de Potier, évêque de Beauvais, qu’elle avait d’abord choisi pour son ministre. On peint cet évêque comme un homme incapable : il est à croire qu’il l’était, et que la reine ne s’en était servie quelque temps que comme d’un fantôme, pour ne pas effaroucher d’abord la nation par le choix d’un second cardinal et d’un étranger. Mais ce qu’on ne doit pas croire, c’est que Potier eût commencé son ministère passager par déclarer aux Hollandais « qu’il fallait qu’ils se fissent catholiques s’ils voulaient demeurer dans l’alliance de la France ». Il aurait donc dû faire la même proposition aux Suédois. Presque tous les historiens rapportent cette absurdité, parce qu’ils l’ont lue dans les mémoires des courtisans et des Frondeurs. Il n’y a que trop de traits dans ces Mémoires, ou falsifiés par la passion, ou rapportés sur des bruits populaires. Le puéril ne doit pas être cité, et l’absurde ne peut être cru. Il est très-vraisemblable que le cardinal Mazarin était ministre désigné depuis longtemps dans l’esprit de la reine, et même du vivant de Louis XIII. On ne peut en douter quand on a lu les Mémoires de La Porte, premier valet de chambre d’Anne d’Autriche. Les subalternes, témoins de tout l’intérieur d’une cour, savent des choses que les parlements et les chefs de parti même ignorent, ou ne font que soupçonner[1].

Mazarin usa d’abord avec modération de sa puissance. Il faudrait avoir vécu longtemps avec un ministre pour peindre son caractère, pour dire quel degré de courage ou de faiblesse il

  1. Les Mémoires manuscrits du duc de La Rochefoucauld confirment le même fait. Il était un des confidents de la reine dans les derniers temps de la vie de Louis XIII. (K.) — Voyez les Mémoires du duc de La Rochefoucauld, première partie, jusqu’à ce jour inédite. Paris, Renouard, 1817, in-18. (B.)