Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/251

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

politique des rois de France a toujours été, depuis François Ier, d’être alliés des empereurs turcs ; non-seulement pour les avantages du commerce, mais pour empêcher la maison d’Autriche de trop prévaloir. Cependant un roi chrétien ne pouvait refuser du secours à l’empereur, trop en danger, et l’intérêt de la France était bien que les Turcs inquiétassent la Hongrie, mais non pas qu’ils l’envahissent ; enfin ses traités avec l’empire lui faisaient un devoir de cette démarche honorable. Il envoya donc six mille hommes en Hongrie, sous les ordres du comte de Coligny[1], seul reste de la maison de ce Coligny, autrefois si célèbre dans nos guerres civiles, et qui mérite peut-être une aussi grande renommée que cet amiral, par son courage et par sa vertu. L’amitié l’avait attaché au grand Condé, et toutes les offres du cardinal Mazarin n’avaient jamais pu l’engager à manquer à son ami. Il mena avec lui l’élite de la noblesse de France, et entre autres le jeune La Feuillade, homme entreprenant et avide de gloire et de fortune. (1664) Ces Français allèrent servir en Hongrie sous le général Montecuculli, qui tenait tête alors au grand-vizir Kiuperli ou Kouprogli, et qui depuis, en servant contre la France, balança la réputation de Turenne. Il y eut un grand combat à Saint-Gothard, au bord du Raab, entre les Turcs et l’armée de l’empereur. Les Français y firent des prodiges de valeur ; les Allemands mêmes, qui ne les aimaient point, furent obligés de leur rendre justice ; mais ce n’est pas la rendre aux Allemands, de dire, comme on a fait dans tant de livres, que les Français eurent seuls l’honneur de la victoire.

Le roi, en mettant sa grandeur à secourir ouvertement l’empereur, et à donner de l’éclat aux armes françaises, mettait sa politique à soutenir secrètement le Portugal contre l’Espagne. Le cardinal Mazarin avait abandonné formellement les Portugais, par le traité des Pyrénées ; mais l’Espagnol avait fait plusieurs petites infractions tacites à la paix. Le Français en fit une hardie et décisive : le maréchal de Schomberg, étranger et huguenot, passa en Portugal avec quatre mille soldats français, qu’il payait de l’argent de Louis XIV, et qu’il feignait de soudoyer au nom du roi de Portugal. Ces quatre mille soldats français, joints aux troupes portugaises, remportèrent à Villa-Viciosa (17 juin 1665)

  1. Jean de Coligny, né à Saligny, le 17 décembre 1617, mort le 16 avril 1686, laissant un fils, Alexandre-Gaspard, qui mourut en 1694, sans postérité. Jean avait écrit sur les marges d’un missel ses Mémoires ou notes, qui ont été imprimées dans le chapitre viii des Contes historiques, par V. D. Musset-Pathay, Paris, 1826, in-8o. Le prince de Condé, dont il avait été aide de camp, y est bien maltraité. (B.)