Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/299

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La Sicile, depuis le temps des tyrans de Syracuse, sous lesquels au moins elle avait été comptée pour quelque chose dans le monde, a toujours été subjuguée par des étrangers ; asservie successivement aux Romains, aux Vandales, aux Arabes, aux Normands, sous le vasselage des papes, aux Français, aux Allemands, aux Espagnols ; haïssant presque toujours ses maîtres, se révoltant contre eux, sans faire de véritables efforts dignes de la liberté, et excitant continuellement des séditions pour changer de chaînes.

Les magistrats de Messine venaient d’allumer une guerre civile contre leurs gouverneurs, et d’appeler la France à leur secours. Une flotte espagnole bloquait leur port. Ils étaient réduits aux extrémités de la famine.

D’abord le chevalier de Valbelle vint avec quelques frégates à travers la flotte espagnole. Il apporte à Messine des vivres, des armes, et des soldats. Ensuite le duc de Vivonne arrive avec sept vaisseaux de guerre de soixante pièces de canon, deux de quatre vingts, et plusieurs brûlots ; il bat la flotte ennemie (9 février 1675), et entre victorieux dans Messine.

L’Espagne est obligée d’implorer, pour la défense de la Sicile, les Hollandais ses anciens ennemis, qu’on regardait toujours comme les maîtres de la mer. Ruyter vient à son secours du fond du Zuiderzée, passe le détroit, et joint à vingt vaisseaux espagnols vingt-trois grands vaisseaux de guerre.

Alors les Français qui, joints avec les Anglais, n’avaient pu battre les flottes de Hollande, l’emportèrent seuls sur les Hollandais et les Espagnols réunis. (8 janvier 1676) Le duc de Vivonne, obligé de rester dans Messine pour contenir le peuple déjà mécontent de ses défenseurs, laissa donner cette bataille par Duquesne, lieutenant général des armées navales, homme aussi singulier que Ruyter, parvenu comme lui au commandement par son seul mérite, mais n’ayant encore jamais commandé d’armée navale, et plus signalé jusqu’à ce moment dans l’art d’un armateur que dans celui d’un général. Mais quiconque a le génie de son art et du commandement passe bien vite et sans effort du petit au grand. Duquesne se montra grand général de mer contre Ruyter. C’était l’être que de remporter sur ce Hollandais un faible avantage. Il livra encore une seconde bataille navale aux deux flottes ennemies près d’Agouste[1] (12 mars 1676). Ruyter, blessé dans cette bataille, y termina sa glorieuse vie. C’est un des hommes

  1. Près d’Augusta, le 22 avril. Ruyter mourut de ses blessures le 29 du même mois.