Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/325

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après un combat de dix heures (29 juillet 1692[1]). Russel, amiral anglais, les poursuivit deux jours. Quatorze grands vaisseaux, dont deux portaient cent quatre pièces de canon, échouèrent sur la côte, et les capitaines y firent mettre le feu pour ne les pas laisser brûler par les ennemis. Le roi Jacques, qui du rivage avait vu ce désastre, perdit toutes ses espérances[2].

Ce fut le premier échec que reçut sur la mer la puissance de Louis XIV. Seignelai, qui après Colbert son père avait perfectionné la marine, était mort à la fin de 1690. Pontchartrain, élevé de la première présidence de Bretagne à l’emploi de secrétaire d’État de la marine, ne la laissa point périr. Le même esprit régnait toujours dans le gouvernement. La France eut, dès l’année qui suivit la disgrâce de la Hogue, des flottes aussi nombreuses qu’elle en avait eu déjà : car Tourville se trouva à la tête de soixante vaisseaux de ligne, et d’Estrées en avait trente, sans compter ceux qui étaient dans les ports (1696) ; et même, quatre ans après, le roi fit encore un armement plus considérable que tous les précédents pour conduire Jacques en Angleterre à la tête de vingt mille Français ; mais cette flotte ne fit que se montrer, les mesures du parti de Jacques ayant été aussi mal concertées à Londres

  1. La bataille de la Hogue est du 29 mai.
  2. Tourville avait ordre de combattre, et ce fut lui qui attaqua la flotte anglaise. Seignelai lui avait reproché de n’avoir pas osé, l’année précédente, aller brûler les vaisseaux anglais dans leurs ports, après la défaite de leur flotte. Tourville parut regarder ce reproche comme un soupçon sur sa bravoure. « Vous ne m’avez pas entendu, répliqua le ministre ; il y a des hommes qui sont braves de cœur et poltrons de tête. »

    Russel, qui commandait la flotte anglaise, avait une correspondance secrète avec Jacques. Lui, Marlborough, plusieurs chefs du parti populaire, avaient formé le projet de rétablir Jacques, en lui imposant des conditions encore plus dures que celles qu’ils avaient forcé le prince d’Orange d’accepter. Russel avait écrit à Jacques de remettre la descente à l’hiver, et surtout d’éviter que la flotte française n’attaquât la sienne ; qu’il le connaissait incapable de sacrifier à aucun intérêt l’honneur du pavillon britannique. Jacques avait encore d’autres intelligences dans la flotte.

    On a prétendu que Russel, voyant qu’on le forçait à combattre, déconcerta ces intelligences en changeant les capitaines suspects la veille de l’action. Dalrymple rapporte, au contraire, qu’on en donna le conseil au prince d’Orange, mais qu’il prit le parti de faire écrire par la reine à Russel qu’on avait cherché à lui donner des soupçons sur la fidélité de plusieurs officiers, et proposé de les changer, mais qu’elle ne ferait aucun changement, regardant ces imputations comme l’ouvrage de ses ennemis et des leurs. Russel fut publiquement la lettre, et tous jurèrent de mourir pour leur reine et pour leur patrie.

    On a dit que Jacques, placé sur le rivage, voyant combattre les mêmes vaisseaux avec lesquels il avait gagné des batailles, ne pouvait s’empêcher de s’intéresser à eux contre lui-même. Cependant il avait demandé à combattre sur la flotte française. (K.)