Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/336

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Louvois. Guillaume, suivi d’une troupe si animée, renversa d’abord les escadrons qui se présentèrent contre lui ; mais enfin il fut renversé lui-même sous son cheval tué. Il se releva, et continua le combat avec les efforts les plus obstinés.

Luxembourg entra deux fois l’épée à la main dans le village de Nervinde. Le duc de Villeroi fut le premier qui sauta dans les retranchements des ennemis. Deux fois le village fut emporté et repris.

Ce fut encore à Nervinde que ce même Philippe, duc de Chartres, se montra digne petit-fils de Henri IV. Il chargeait pour la troisième fois à la tête d’un escadron. Cette troupe étant repoussée, il se trouva dans un terrain creux, environné de tous côtés d’hommes et de chevaux tués ou blessés. Un escadron ennemi s’avance à lui, lui crie de se rendre ; on le saisit, il se défend seul, il blesse l’officier qui le retenait prisonnier, il s’en débarrasse. On revole à lui dans le moment, et on le dégage. Le prince de Condé, qu’on nommait Monsieur le Duc, le prince de Conti, son émule, qui s’étaient tant signalés à Steinkerque, combattaient de même à Nervinde pour leur vie comme pour leur gloire, et furent obligés de tuer des ennemis de leur main, ce qui n’arrive aujourd’hui presque jamais aux officiers généraux, depuis que le feu décide de tout dans les batailles.

Le maréchal de Luxembourg se signala et s’exposa plus que jamais ; son fils, le duc de Montmorency, se mit au devant de lui lorsqu’on le tirait, et reçut le coup porté à son père. Enfin le général et les princes reprirent le village une troisième fois, et la bataille fut gagnée.

Peu de journées furent plus meurtrières. Il y eut environ vingt mille morts, douze mille du côté des alliés, et huit de celui des Français. C’est à cette occasion qu’on disait qu’il fallait chanter plus de De profundis que de Te Deum.

Si quelque chose pouvait consoler des horreurs attachées à la guerre, ce serait ce que dit le comte de Salm, blessé et prisonnier dans Tirlemont. Le maréchal de Luxembourg lui rendait des soins assidus : « Quelle nation êtes-vous ! lui dit ce prince ; il n’y a point d’ennemis plus à craindre dans une bataille, ni de plus généreux amis après la victoire[1]. »

Toutes ces batailles produisaient beaucoup de gloire, mais peu de grands avantages. Les alliés, battus à Fleurus, à Stein-

  1. Racine, dans sa lettre à Boileau, du 6 août 1693, rapporte ces paroles un peu différemment, et les met dans la bouche du comte de Solms.