Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/360

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pensait en tout comme le précepteur de ce prince, le célèbre archevêque de Cambrai, si connu par ses maximes humaines de gouvernement, et par la préférence qu’il donnait aux intérêts des peuples sur la grandeur des rois. Le marquis de Torcy appuya, par des principes de politique, ce que le duc de Beauvilliers avait dit comme citoyen. Il représenta qu’il ne convenait pas d’irriter la nation anglaise par une démarche précipitée. Louis se rendit à l’avis unanime de son conseil ; et il fut résolu de ne point reconnaître le fils de Jacques II pour roi.

[1] Le jour même, Marie de Modène[2], veuve de Jacques, vient parler à Louis XIV dans l’appartement de Mme  de Maintenon. Elle le conjure en larmes de ne point faire à son fils, à elle, à la mémoire d’un roi qu’il a protégé, l’outrage de refuser un simple titre, seul reste de tant de grandeurs : on a toujours rendu à son fils les honneurs d’un prince de Galles ; on le doit donc traiter en roi après la mort de son père ; le roi Guillaume ne peut s’en plaindre, pourvu qu’on le laisse jouir de son usurpation. Elle fortifie ces raisons par l’intérêt de la gloire de Louis XIV. Qu’il reconnaisse ou non le fils de Jacques II, les Anglais ne prendront pas moins parti contre la France, et il aura seulement la douleur d’avoir sacrifié la grandeur de ses sentiments à des ménagements inutiles. Ces représentations et ces larmes furent appuyées par Mme  de Maintenon. Le roi revint à son premier sentiment, et à la gloire de soutenir autant qu’il pouvait des rois opprimés. Enfin Jacques III fut reconnu le même jour qu’il avait été arrêté dans le conseil qu’on ne le reconnaîtrait pas.

Le marquis de Torcy a fait souvent l’aveu de cette anecdote singulière. Il ne l’a pas insérée dans ses Mémoires manuscrits, parce qu’il pensait, disait-il, qu’il n’était pas honorable à son maître que deux femmes lui eussent fait changer une résolution prise dans son conseil. Quelques Anglais[3] m’ont dit que, peut-être,

  1. Cet alinéa fut ajouté dans l’édition de 1752. Des changements et additions furent aussi faits à ce qui précède et à ce qui suit. (B.)
  2. Il paraît, d’après les notes des Mémoires de Berwick, que Louis XIV avait pris sa résolution avant la mort de Jacques, et qu’ainsi le conseil, dont on a parlé ici, fut tenu avant la troisième visite de Louis XIV à ce prince, celle où il déclara au malheureux Jacques qu’il reconnaîtrait son fils pour roi d’Angleterre. (K.)
  3. Entre autres, milord Bolingbroke, dont les Mémoires ont depuis justifié ce que l’auteur du Siècle avance. Voyez ses Lettres, tome II, page 56. C’est ainsi que pense encore M. de Torcy dans ses Mémoires. Il dit, page 164 du tome Ier, première édition : « La résolution que prit le roi, de reconnaître le prince de Galles en qualité de roi d’Angleterre, changea les dispositions qu’une grande partie de la nation témoignait à conserver la paix, etc. » Le lord Bolingbroke avoue, dans ses