Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/384

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rough et ses Anglais, ayant passé un ruisseau, chargeaient déjà la cavalerie de Tallard. Ce général, un peu ayant ce temps-là, venait de passer à la gauche pour voir comment elle était disposée. C’était déjà un assez grand désavantage que l’armée de Tallard combattît sans que son général fût à sa tête. L’année de l’électeur et de Marsin n’était point encore attaquée par le prince Eugène. Marlborough entama l’aile droite française près d’une heure avant qu’Eugène eût pu arriver vers l’électeur à la gauche.

Sitôt que le maréchal de Tallard apprend que Marlborough attaque son aile, il y court : il trouve une action furieuse engagée ; la cavalerie française trois fois ralliée et trois fois poussée. Il va vers le village de Bleinheim, où il avait posté vingt-sept bataillons et douze escadrons. C’était une petite armée séparée : elle faisait un feu continuel sur celle de Marlborough. De ce village, où il donne ses ordres, il revole à l’endroit où Marlborough, avec de la cavalerie et des bataillons entre les escadrons, poussait la cavalerie française.

M. de Feuquières se trompe assurément quand il dit que le maréchal de Tallard n’y était pas, et qu’il fut pris prisonnier en revenant de l’aile de Marsin à la sienne. Toutes les relations conviennent, et il ne fut que trop vrai pour lui, qu’il y était présent. Il y fut blessé ; son fils y reçut un coup mortel auprès de lui. Toute sa cavalerie est mise en déroute en sa présence. Marlborough, vainqueur, perce d’un côté entre les deux armées françaises ; de l’autre, ses officiers généraux percent aussi entre ce village de Bleinheim et l’armée de Tallard, séparée encore de la petite armée qui est dans Bleinheim.

Le maréchal de Tallard, dans cette cruelle situation, court pour rallier quelques escadrons. La faiblesse de sa vue lui fait prendre un escadron ennemi pour un français. Il est fait prisonnier par les troupes de Hesse, qui étaient à la solde de l’Angleterre. Au moment que le général était pris, le prince Eugène, trois fois repoussé, gagnait enfin l’avantage. La déroute était déjà totale et la fuite précipitée dans le corps d’armée du maréchal de Tallard. La consternation et l’aveuglement de toute cette droite étaient au point qu’officiers et soldats se jetaient dans le Danube, sans savoir où ils allaient. Aucun officier ne donnait d’ordre pour la retraite ; aucun ne pensait ou à sauver ces vingt-sept bataillons et ces douze escadrons des meilleures troupes de France, enfermés si malheureusement dans Bleinheim, ou à les faire combattre. Le maréchal de Marsin fit alors la retraite. Le comte du Bourg, depuis maréchal de France, sauva une petite partie de l’infanterie en