Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/408

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toujours reconnu Philippe V, à l’exemple de son prédécesseur ; et il était attaché à la maison de Bourbon. L’empereur l’en punit en déclarant dépendants de l’empire beaucoup de fiefs qui relevaient jusqu’alors des papes, et surtout Parme et Plaisance, en ravageant quelques terres ecclésiastiques, en se saisissant de la ville de Comacchio.

Autrefois un pape eût excommunié tout empereur qui lui aurait disputé le droit le plus léger, et cette excommunication eût fait tomber l’empereur du trône ; mais la puissance des clefs étant réduite à peu près au point où elle doit l’être, Clément XI, animé par la France, avait osé un moment se servir de la puissance du glaive. Il arma, et s’en repentit bientôt. Il vit que les Romains, sous un gouvernement tout sacerdotal, n’étaient pas faits pour manier l’épée. Il désarma, il laissa Comacchio en dépôt à l’empereur ; il consentit à écrire à l’archiduc : À notre très-cher fils, roi catholique en Espagne. Une flotte anglaise dans la Méditerranée, et les troupes allemandes sur ses terres, le forcèrent bientôt d’écrire : À notre très-cher fils, roi des Espagnes. Ce suffrage du pape, qui n’était rien dans l’empire d’Allemagne, pouvait quelque chose sur le peuple espagnol, à qui on avait fait accroire que l’archiduc était indigne de régner parce qu’il était protégé par des hérétiques, qui s’étaient emparés de Gibraltar.

(Août 1708) Restait à la monarchie espagnole, au-delà du continent, l’île de Sardaigne, avec celle de Sicile. Une flotte anglaise donna la Sardaigne à l’empereur Joseph, car les Anglais voulaient que l’archiduc son frère n’eût que l’Espagne. Leurs armes faisaient alors les traités de partage. Ils réservèrent la conquête de la Sicile pour un autre temps, et aimèrent mieux employer leurs vaisseaux à chercher sur les mers les galions de l’Amérique, dont ils prirent quelques-uns, qu’à donner à l’empereur de nouvelles terres.

La France était aussi humiliée que Rome, et plus en danger : les ressources s’épuisaient ; le crédit était anéanti ; les peuples, qui avaient idolâtré leur roi dans ses prospérités, murmuraient contre Louis XIV malheureux.

Des partisans, à qui le ministère avait vendu la nation pour quelque argent comptant dans ses besoins pressants, s’engraissaient du malheur public, et insultaient à ce malheur par leur luxe. Ce qu’ils avaient prêté était dissipé. Sans l’industrie hardie de quelques négociants, et surtout de ceux de Saint-Malo, qui allèrent au Pérou et rapportèrent trente millions, dont ils prêtèrent la moitié à l’État, Louis XIV n’aurait pas eu de quoi payer ses