Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/416

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deux ailes coupées, ceux qui avaient fait le plus grand carnage furent les vaincus.

Le maréchal de Boufflers[1] fit la retraite en bon ordre, aidé du prince de Tingri-Montmorency, depuis maréchal de Luxembourg, héritier du courage de ses pères. L’armée se retira entre le Quesnoi et Valenciennes, emportant plusieurs drapeaux et étendards pris sur les ennemis. Ces dépouilles consolèrent Louis XIV, et on compta pour une victoire l’honneur de l’avoir disputée si longtemps, et de n’avoir perdu que le champ de bataille. Le maréchal de Villars, en revenant à la cour, assura le roi que, sans sa blessure, il aurait remporté la victoire. J’en ai vu ce général persuadé, mais j’ai vu peu de personnes qui le crussent.

On peut s’étonner qu’une armée qui avait tué aux ennemis deux tiers plus de monde qu’elle n’en avait perdu n’essayât pas d’empêcher que ceux qui n’avaient eu d’autre avantage que celui de coucher au milieu de leurs morts allassent faire le siège de Mons. Les Hollandais craignirent pour cette entreprise : ils hésitèrent. Mais le nom de bataille perdue impose aux vaincus, et les décourage. Les hommes ne font jamais tout ce qu’ils peuvent faire, et le soldat à qui on dit qu’il a été battu craint de l’être

  1. Dans le livre intitulé Mémoires du maréchal de Berwick, il est dit que le maréchal de Berwick fit cette retraite. C’est ainsi que tant de mémoires sont écrits. On trouve dans ceux de Mme de Maintenon, par La Beaumelle, tome V, page 99, que les alliés accusèrent le maréchal de Villars de « s’être blessé lui-même, et que les Français lui reprochèrent de s’être retiré trop tôt ». Ce sont deux impostures ridicules. Ce général avait reçu un coup de carabine au-dessous du genou, qui lui fracassa l’os, et qui le fit boiter toute sa vie. Le roi lui envoya le sieur Maréchal, son premier chirurgien, qui seul empêcha qu’on lui coupât la cuisse. C’est ce que je tiens de la bouche de M. le maréchal de Villars et de ce chirurgien célèbre : c’est ce que tous les officiers ont su ; c’est ce que M. le duc de Villars daigne me confirmer par ses lettres. Il n’oppose que le mépris aux sottises insolentes et calomnieuses de La Beaumelle. (Note de Voltaire.) — Les Mémoires de Berwick, dont parle M. de Voltaire, ne sont pas le même ouvrage que nous avons cité dans nos notes. Le maréchal de Berwick défendit le Dauphiné et la Provence contre le duc de Savoie pendant les campagnes de 1709, 1710, 1711 et 1712, avec beaucoup de succès, et malgré une grande infériorité de forces. Ces campagnes, pendant lesquelles il n’y eut aucune action d’éclat, lui ont fait plus d’honneur auprès des militaires que la victoire d’Almanza et la prise de Barcelone, et l’ont placé, dans l’opinion des hommes éclairés, fort au-dessus de plusieurs généraux qui ont eu des succès plus brillants. Il fut envoyé en Flandre, après la bataille de Malplaquet, pour faire lever le siège de Mons, entreprise qu’il ne trouva point impraticable : c’est ce qui a trompé l’auteur des faux Mémoires de Berwick. M. de Voltaire ne parle point de ces campagnes de Dauphiné ; mais il avait passé sa jeunesse chez les princes de Vendôme et chez le maréchal de Villars, qui n’aimaient pas le maréchal de Berwick. (K.) — Les Mémoires de Berwick, 1737, deux volumes in-12, sont de l’abbé Margon. Les véritables Mémoires de Berwick ont été publiés en 1778 ; voyez page 14.