Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/423

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duc de Marlborough, changer le ministère, faire la paix, et rappeler, s’il se pouvait, la maison de Stuart sur le trône d’Angleterre. Si le caractère de la duchesse eût pu admettre quelque souplesse elle eût régné encore. La reine et elle étaient dans l’habitude de s’écrire tous les jours sous des noms empruntés. Ce mystère et cette familiarité laissaient toujours la voie ouverte à la réconciliation ; mais la duchesse n’employa cette ressource que pour tout gâter. Elle écrivit impérieusement. Elle disait dans sa lettre : « Rendez-moi justice, et ne me faites point de réponse. » Elle s’en repentit ensuite : elle vint demander pardon ; elle pleura ; et la reine ne lui répondit autre chose, sinon : « Vous m’avez ordonné de ne vous point répondre, et je ne vous répondrai pas. » Alors la rupture fut sans retour. La duchesse ne parut plus à la cour ; et quelque temps après on commença par ôter le ministère au gendre de Marlborough, Sunderland, pour déposséder ensuite Godolphin et le duc lui-même. Dans d’autres États cela s’appelle une disgrâce ; en Angleterre, c’est une révolution dans les affaires, et la révolution était encore très-difficile à opérer.

Les torys, maîtres alors de la reine, ne l’étaient pas du royaume. Ils furent obligés d’avoir recours à la religion. Il n’y en a guère aujourd’hui, dans la Grande-Bretagne, que le peu qu’il en faut pour distinguer les factions. Les whigs penchaient pour le presbytérianisme. C’était la faction qui avait détrôné Jacques II, persécuté Charles II, et immolé Charles Ier. Les torys étaient pour les épiscopaux, qui favorisaient la maison de Stuart, et qui voulaient établir l’obéissance passive envers les rois, parce que les évêques en espéraient plus d’obéissance pour eux-mêmes. Ils excitèrent un prédicateur à prêcher dans la cathédrale de Saint-Paul cette doctrine, et à désigner d’une manière odieuse l’administration de Marlborough et le parti qui avait donné la couronne au roi Guillaume[1]. Mais la reine, qui favorisait ce prêtre, ne fut pas assez puissante pour empêcher qu’il ne fût interdit pour trois ans par les deux chambres, dans la salle de Westminster, et que son sermon ne fût brûlé[2]. Elle sentit encore plus sa faiblesse en n’osant jamais, malgré ses secrètes inclinations pour son sang,

  1. Le marquis de Torcy l’appelle, dans ses Mémoires, ministre prédicant ; il se trompe ; c’est un titre qu’on ne donne qu’aux presbytériens. Henri Sacheverel, dont il est question, était docteur d’Oxford, et du parti épiscopal. Il avait prêché dans la cathédrale de Saint-Paul l’obéissance absolue aux rois et l’intolérance. Ces maximes furent condamnées par le parlement ; mais ses invectives contre le parti de Marlborough le furent bien davantage. (Note de Voltaire.)
  2. Il fut brûlé quelques années auparavant. (G. A.)