Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/433

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d’embrasser pour lui les genoux de Louis XIV, et de présenter à ce monarque les assurances du plus profond respect d’un sujet envers son souverain. Premièrement, il n’est pas vrai qu’un prince, petit-fils d’un souverain, demeure le sujet d’un autre prince pour être né dans ses États. Secondement, il est encore moins vrai que le prince Eugène, vicaire général de l’empire, pût se dire sujet du roi de France.

Cependant chaque État se mit en possession de ses nouveaux droits. Le duc de Savoie se fit reconnaître en Sicile, sans consulter l’empereur, qui s’en plaignit en vain. Louis XIV fit recevoir ses troupes dans Lille. Les Hollandais se saisirent des villes de leur barrière, et la Flandre leur a payé toujours douze cent cinquante mille florins par an, pour être les maîtres chez elle[1]. Louis XIV fit combler le port de Dunkerque, raser la citadelle, et démolir toutes les fortifications du côté de la mer, sous les yeux d’un commissaire anglais. Les Dunkerquois, qui voyaient par là tout leur commerce périr, députèrent à Londres pour implorer la clémence de la reine Anne. Il était triste pour Louis XIV que ses sujets allassent demander grâce à une reine d’Angleterre ; mais il fut encore plus triste pour eux que la reine Anne fût obligée de les refuser.

Le roi, quelque temps après, fit élargir le canal de Mardick ; et, au moyen des écluses, on fit un port qu’on disait égaler celui de Dunkerque. Le comte de Stair, ambassadeur d’Angleterre, s’en plaignit vivement à ce monarque. Il est dit, dans un des meilleurs livres que nous ayons[2], que Louis XIV répondit au lord Stair : Monsieur l’ambassadeur, j’ai toujours été le maître chez moi, quelquefois chez les autres ; ne m’en faites pas souvenir. » Je sais de science certaine que jamais Louis XIV ne fit une réponse si peu convenable. Il n’avait jamais été le maître chez les Anglais : il s’en fallait beaucoup. Il l’était chez lui ; mais il s’agissait de savoir s’il était le maître d’éluder un traité auquel il devait son repos, et peut-être une grande partie de son royaume[3].

La clause du traité qui portait la démolition du port de Dunkerque et de ses écluses ne stipulait pas qu’on ne ferait point de port à Mardick. On a osé imprimer que le lord Bolingbroke, qui

  1. L’empereur Joseph II vient de s’affranchir de ce ridicule tribut, et de faire démolir les fortifications de presque toutes les places de la barrière. (K.)
  2. L’Abrégé chronologique de Hénault.
  3. Jamais le lord Stair ne parla au roi qu’en présence du secrétaire d’État Torcy, qui a dit n’avoir jamais entendu un discours si déplacé. Ce discours aurait été bien humiliant pour Louis XIV, quand il fit cesser les ouvrages de Mardick. (Note de Voltaire.)