Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/445

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pour l’Académie, qui possédait plusieurs ecclésiastiques dans son corps, mais qu’il y en eut un particulier pour les évêques.

Le cardinal Mazarin, en 1646 et en 1654, fit représenter sur le théâtre du Palais-Royal et du Petit-Bourbon, près du Louvre, des opéras italiens, exécutés par des voix qu’il fit venir d’Italie. Ce spectacle nouveau était né depuis peu à Florence, contrée alors favorisée de la fortune comme de la nature, et à laquelle on doit la reproduction de plusieurs arts anéantis pendant des siècles, et la création de quelques-uns. C’était en France un reste de l’ancienne barbarie, de s’opposer à l’établissement de ces arts.

Les jansénistes, que les cardinaux de Richelieu et de Mazarin voulurent réprimer, s’en vengèrent contre les plaisirs que ces deux ministres procuraient à la nation. Les luthériens et les calvinistes en avaient usé ainsi du temps du pape Léon X. Il suffit d’ailleurs d’être novateur pour être austère. Les mêmes esprits qui bouleverseraient un État pour établir une opinion souvent absurde, anathématisent les plaisirs innocents nécessaires à une grande ville, et des arts qui contribuent à la splendeur d’une nation. L’abolition des spectacles serait une idée plus digne du siècle d’Attila que du siècle de Louis XIV.

La danse, qui peut encore se compter parmi les arts[1], parce qu’elle est asservie à des règles, et qu’elle donne de la grâce au corps, était un des plus grands amusements de la cour. Louis XIII n’avait dansé qu’une fois dans un ballet, en 1625 ; et ce ballet était d’un goût grossier, qui n’annonçait pas ce que les arts furent en France trente ans après. Louis XIV excellait dans les danses graves, qui convenaient à la majesté de sa figure, et qui ne blessaient pas celle de son rang[2]. Les courses de bagues, qu’on faisait quelquefois, et où l’on étalait déjà une grande magnificence, faisaient paraître avec éclat son adresse à tous les exercices. Tout respirait les plaisirs et la magnificence qu’on connaissait alors. C’était peu de chose en comparaison de ce qu’on vit quand le roi régna par lui-même ; mais c’était de quoi étonner, après les horreurs d’une guerre civile, et après la tristesse de la vie sombre

  1. Le cardinal de Richelieu avait déjà donné des ballets, mais ils étaient sans goût, comme tout ce qu’on avait eu de spectacles avant lui. Les Français, qui ont aujourd’hui porté la danse à la perfection, n’avaient, dans la jeunesse de Louis XIV, que des danses espagnoles, comme la sarabande, la courante, la pavane, etc. (Note de Voltaire.)
  2. Voltaire, qui approuve ici la danse de Louis XIV, cite, chapitre xxvi, les vers de Racine (dans Britannicus), et dit que « le poëte réforma le monarque ».