Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/449

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Louis XIV, cependant, partageait son temps entre les plaisirs qui étaient de son âge, et les affaires qui étaient de son devoir. Il tenait conseil tous les jours, et travaillait ensuite secrètement avec Colbert. Ce travail secret fut l’origine de la catastrophe du célèbre Fouquet, dans laquelle furent enveloppés le secrétaire d’État Guénégaud, Pellisson, Gourville, et tant d’autres. La chute de ce ministre, à qui on avait bien moins de reproches à faire qu’au cardinal Mazarin, fit voir qu’il n’appartient pas à tout le monde de faire les mêmes fautes. Sa perte était déjà résolue quand le roi accepta la fête magnifique que ce ministre lui donna dans sa maison de Vaux. Ce palais et les jardins lui avaient coûté dix-huit millions, qui en valent aujourd’hui environ trente-cinq[1]. Il avait bâti le palais deux fois, et acheté trois hameaux, dont le terrain fut enfermé dans ces jardins immenses, plantés en partie par Le Nostre, et regardés alors comme les plus beaux de l’Europe. Les eaux jaillissantes de Vaux, qui parurent depuis au-dessous du médiocre après celles de Versailles, de Marly, et de Saint-Cloud, étaient alors des prodiges. Mais, quelque belle que soit cette maison, cette dépense de dix-huit millions, dont les comptes existent encore, prouve qu’il avait été servi avec aussi peu d’économie qu’il servait le roi. Il est vrai qu’il s’en fallait beaucoup que Saint-Germain et Fontainebleau, les seules maisons de plaisance habitées par le roi, approchassent de la beauté de Vaux. Louis XIV le sentit, et en fut irrité. On voit partout, dans cette maison, les armes et la devise de Fouquet. C’est un écureuil avec ces paroles : Quo non ascendam ? Où ne monterai-je point ? Le roi se les fit expliquer. L’ambition de cette devise ne servit pas à apaiser le monarque. Les courtisans remarquèrent que l’écureuil était peint partout poursuivi par une couleuvre, qui était les armes de Colbert. La fête fut au-dessus de celles que le cardinal Mazarin avait données, non-seulement pour la magnificence, mais pour le goût. On y représenta pour la première fois les Fâcheux de Molière. Pellisson avait fait le prologue, qu’on admira. Les plaisirs publics cachent ou préparent si souvent à la cour des désastres particuliers que, sans la reine mère, le surintendant et Pellisson auraient été arrêtés dans Vaux le jour de la fête. Ce qui augmentait le ressentiment du roi, c’est que Mlle  de

  1. Les comptes qui le prouvent étaient à Vaux, aujourd’hui Villars, en l718, et doivent y être encore. M. le duc de Villars, fils du maréchal, confirme ce fait. Il est moins singulier qu’on ne pense. Vous voyez, dans les Mémoires de l’abbé de Choisy, que le marquis de Louvois lui disait, en lui parlant de Meudon : « Je suis sur le quatorzième million. » (Note de Voltaire.)