Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/451

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Fouquet, pour avoir dissipé les finances de l’État, et pour en avoir usé comme des siennes propres, n’en avait pas moins de grandeur dans l’âme. Ses déprédations n’avaient été que des magnificences et des libéralités[1]. (1661) Il fit porter à l’épargne le prix de sa charge, et cette belle action ne le sauva pas. On attira avec adresse à Nantes un homme qu’un exempt et deux gardes pouvaient arrêter à Paris. Le roi lui fit des caresses avant sa disgrâce. Je ne sais pourquoi la plupart des princes affectent d’ordinaire de tromper par de fausses bontés ceux de leurs sujets qu’ils veulent perdre. La dissimulation alors est l’opposé de la grandeur. Elle n’est jamais une vertu, et ne peut devenir un talent estimable que quand elle est absolument nécessaire. Louis XIV parut sortir de son caractère ; mais on lui avait fait entendre que Fouquet faisait de grandes fortifications à Belle-Isle, et qu’il pouvait avoir trop de liaisons au dehors et au dedans du royaume. Il parut bien, quand il fut arrêté et conduit à la Bastille et à Vincennes, que son parti n’était autre chose que l’avidité de quelques courtisans et de quelques femmes, qui recevaient de lui des pensions, et qui l’oublièrent dès qu’il ne fut plus en état d’en donner. Il lui resta d’autres amis, et cela prouve qu’il en méritait. L’illustre Mme de Sévigné, Pellisson, Gourville, Mlle Scudéry, plusieurs gens de lettres, se déclarèrent hautement pour lui, et le servirent avec tant de chaleur qu’ils lui sauvèrent la vie.

On connaît ces vers de Hesnault, le traducteur de Lucrèce, contre Colbert, le persécuteur de Fouquet :


Ministre avare et lâche, esclave malheureux,
Qui gémis sous le poids des affaires publiques ;
Victime dévouée aux chagrins politiques,
Fantôme révéré sous un titre onéreux ;

Vois combien des grandeurs le comble est dangereux ;
Contemple de Fouquet les funestes reliques,
Et, tandis qu’à sa perte en secret tu t’appliques,
Crains qu’on ne te prépare un destin plus affreux :

Sa chute quelque jour te peut être commune.
Crains ton poste, ton rang, la cour, et la fortune.
Nul ne tombe innocent d’où l’on te voit monté.

    d’une misère sans exemple, après une si grande et si solennelle paix générale. O pudor !… O mores… O tempora !… »

  1. Fouquet n’était prodigue, au contraire, que par calcul. Il prenait aux pauvres pour donner aux riches. (G. A.)