Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome14.djvu/463

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le célèbre Viviani, mathématicien du grand duc de Florence ; Vossius, l’historiographe des Provinces-Unies ; l’illustre mathématicien Huygens ; un résident hollandais en Suède ; enfin jusqu’à des professeurs d’Altorf et de Helmstadt, villes presque inconnues des Français, furent étonnés de recevoir des lettres de M. Colbert, par lesquelles il leur mandait que, si le roi n’était pas leur souverain, il les priait d’agréer qu’il fût leur bienfaiteur. Les expressions de ces lettres étaient mesurées sur la dignité des personnes ; et toutes étaient accompagnées, ou de gratifications conidérables, ou de pensions.

Parmi les Français, on sut distinguer Racine, Quinault, Fléchier, depuis évêque de Nîmes, encore fort jeune : ils eurent des présents. Il est vrai que Chapelain et Cotin eurent des pensions ; mais c’était principalement Chapelain que le ministre Colbert avait consulté[1]. Ces deux hommes, d’ailleurs si décriés pour la poésie, n’étaient pas sans mérite. Chapelain avait une littérature immense ; et, ce qui peut surprendre, c’est qu’il avait du goût, et qu’il était un des critiques les plus éclairés. Il y a une grande distance de tout cela au génie. La science et l’esprit conduisent un artiste, mais ne le forment en aucun genre. Personne en France n’eut plus de réputation de son temps que Ronsard et Chapelain. C’est qu’on était barbare dans le temps de Ronsard, et qu’à peine on sortait de la barbarie dans celui de Chapelain. Costar, le compagnon d’étude de Balzac et de Voiture, appelle Chapelain le premier des poëtes héroïques[2].

Boileau n’eut point de part à ces libéralités ; il n’avait encore fait que des satires, et l’on sait que ses satires attaquaient les mêmes savants que le ministre avait consultés. Le roi le distingua, quelques années après, sans consulter personne[3].

  1. Chapelain eut 3,000 livres ; Douvrier, 3,000 ; Corneille, 2,000 ; Molière, 1,000 ; Fléchier, 800 ; Racine, 800 ; Desmarets, 1,200 ; Cotin, 1,200, etc.
  2. Une Liste de quelques gens de lettres français vivants en 1662, composée, par ordre de M. Colbert, par M. Chapelain, a été imprimée, en 1726, dans le tome second des Mémoires de littérature, par le P. Desmolets ; et la même année, dans les Mélanges de littérature de Chapelain. Un Mémoire des gens de lettres célèbres en France, par M. Costar, est aussi imprimé dans le tome second des Mémoires de Desmolets ; c’est là que Chapelain est appelé « le premier poëte du monde pour l’héroïque ». M. Peignot a publié des Documents authentiques et détails curieux sur les dépenses de Louis XIV, en bâtiments et châteaux royaux, en gratifications et pensions accordées aux savants, gens de lettres et artistes, depuis 1663, etc., etc. Paris, 1827, in-8o (B.)

    — Voyez les Lettres de Colbert, Instructions et Mémoires, publiés par M. Pierre Clément, 1865-1868, cinq volumes in-4o imprimés à l’Imprimerie nationale.

  3. Boileau Despréaux n’est sur aucune liste de gratifications et pensions